Que ceux qui en doutent encore en soient convaincus : il y a un avant et un après The Room. Le film de Tommy Wiseau, réalisateur-producteur-scénariste-acteur principal de ce drame sentimental à ramasser à la petite cuillère, est peut-être – surement, même – le pire film qui m’a été donné de voir dans une salle obscure. Néanmoins, la séance organisée le 16 février dernier par Panic! Cinéma au Nouveau Latina a magistralement rendu hommage à ce chef-d’oeuvre ultime de nanarditude. Voici le récit d’une expérience qui a commencé un peu avant la séance !
Car pour parler de l’expérience The Room – oui, c’est VRAIMENT plus qu’une simple séance – je me sens obligée de vous raconter ses préliminaires, sa mise en bouche : je n’avais jamais vu The Room avant, aussi j’ai proposé à El Nioco, notre maître ès cinéma de genre, d’assister à l’une des séances organisées par Panic! Cinéma. El Nioco avait déjà vu le film, il savait donc à quoi s’en tenir, mais le côté « midnight showing » proposé par Panic! laissait présager du lourd. Les billets furent achetés très vite, car Panic! a connu, avec cet évènement, un succès jamais vu : à la séance traditionnelle de 22h se sont rapidement greffées deux séances supplémentaires à 17h et 19h30, pour satisfaire la demande.
Effet curiosité oblige, nombreux sont les spectateurs qui, ne connaissant pas du tout The Room, sont venus pour comprendre comment un film au pitch aussi conventionnel et une affiche aussi affreuse pouvaient attirer autant de monde. Gageons qu’ils en ont tous eu pour leurs 6 euros (c’était le prix du billet d’entrée).
Puis, ce fut l’escalade : par un heureux concours de circonstances, mêlant défi, demande de dernière minute et sympathie des programmateurs de Panic! Cinéma, nous nous sommes vu offrir l’opportunité d’interviewer Tommy Wiseau et Greg Sestero, le réalisateur aux multiples casquettes et l’acteur qui lui donne la réplique – façon de parler – dans The Room. C’est l’ami El Nioco qui s’y est collé, pendant que je filmais et prenais des photos. N’ayant pas encore vu le film, je me suis contentée d’écouter ce cher Tommy, lunettes de soleil vissées sur les yeux – il ne les a quitté qu’une seule seconde, laissant apparaître un regard de Terminator, avant de les remettre ensuite – nous parler de son film, traçant l’expérience de sa vie, évoquant des thématiques comme le cancer, la drogue, la trahison… à froid, sans connaître l’objet du délit, on pouvait tout à fait imaginer faire face à un réalisateur de films d’auteur. Bien évidemment, avec le contexte en plus, la vision est tout à faire différente : en sortant de l’interview, El Nioco est complètement sonné, et a l’impression d’avoir vécu l’une des rencontres les plus improbables de son existence. Le sentiment que plus rien ne sera jamais pareil après cette journée commence à s’installer. Vous pouvez découvrir l’interview de Tommy Wiseau et Greg Sestero en détail ici – enfin, surtout l’interview de Tommy, puisque Greg n’a pas vraiment osé entrer dans les détails quand El Nioco lui posait des questions, sans doute en raison de la proximité du réalisateur, assis juste à côté. Il faudra attendre le bouquin sur lequel travaille actuellement Greg, et dans lequel il relate son expérience tournage. J’en connais deux qui vont bientôt se fâcher.
Comme son nom l’indique, il s’agit en théorie d’une « séance de minuit », même si elle peut avoir lieu plus tôt. Le concept généralement pratiqué est d’offrir au public une projection hors-norme, et participative, régie par les codes liés au film projeté. Contrairement à une séance classique, le public est vivement encouragé à réagir, en faisant des commentaires à voix haute, en répondant aux personnages du film, ou encore en lançant des objets à des moments précis de l’histoire. Cette démarche typiquement américaine est présente en France, notamment via des projections participatives du film The Rocky Horror Picture Show.
L’heure de la séance de 19h30 approchant, nous accédons à l’étage du Nouveau Latina, où Tommy et Greg tiennent leur siège : on découvre alors que si Wiseau est un cinéaste douteux, il s’avère cependant être un redoutable marketeur… en effet, DVD, Blu-ray, tee shirts, hoodies, poster et même Bubble Head parlant à l’effigie de Johnny sont proposés à la vente à des tarifs totalement indécents. Mais comment résister à un Blu-ray Zone Free de The Room, proposant la possibilité d’être visionné à la fois avec les sous-titres français et anglais (en même temps, donc) et surtout assortis de la pire jaquette de Blu-ray de toute l’histoire de l’humanité ? No way, surtout que Tommy et Greg sont là pour le dédicacer. Life is short, et ce n’est clairement pas Johnny qui me contredirait.
19h30 : l’équipe de Panic! a à peine eu le temps de balayer les cuillères répandues durant la séance précédente que, déjà, les spectateurs entrent pour la suivante. Car ce que propose le cinéma n’est plus ni moins qu’une séance interactive, sur le modèle des « Midnight Showing » – voir notre encadré – où le public doit mettre l’ambiance. Pour une fois, on a le droit de crier, de faire des commentaires et même de lancer des roses et des petites cuillères en plastique à chaque fois que l’un de ces objets apparaît à l’écran. Et quand on sait que dans The Room, les petites cuillères sont encadrées et posées sur la table de la fameuse « pièce » où se déroule toute l’action ou presque, c’est littéralement un déluge de petites cuillères qui s’abat en permanence sur le public.
La séance est, comme il se doit, introduite par Tommy et Greg, reçus sous les applaudissements d’une salle pleine à craquer. L’occasion de découvrir que la moitié des spectateurs n’a jamais vu The Room. « Vos yeux vont saigner » s’amuse le présentateur. Tout le monde rigole mais, en fait, ça n’était pas une blague.
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S’ensuit une heure quarante de WTF complet : là, je comprends ce que voulait dire El Nioco après l’interview du matin, et je comprends très très vite que je vais devoir rationner mes 50 cuillères en plastique si je veux tenir toute la séance.
Sans surprise, The Room est affreusement mauvais : acting inexistant, plans carrément flous, scènes totalement inutiles et scénario improbable font de ce film un véritable nanar certifié, dont la simple perspective de le visionner seul dans son canapé donne des sueurs froides – la critique WTF d’El Nioco vous permettra d’en savoir plus ! Mais en expérience de groupe, en mode « Midnight Showing« , c’est que du bonheur : le public présent est survolté, les cuillères pleuvent, les conseils donnés par Panic! en début de séance sont parfaitement appliqués et bien plus encore. Vient alors l’instant ultime, celui où Johnny, en colère contre sa fiancée volage Lisa, sort la célèbre réplique culte : « You’re tearing me apart, Lisa! » et là, c’est l’envolée épique.
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Des centaines de cuillères lancées, des brouettes de « à poils« , « nichons« , « Oh hai! » et autres « Sestrostérone » criés, le film se termine et Tommy et Greg sont de retour dans la salle, pour une séance de questions/réponses aussi improbable que le film lui-même. Entre les spectateurs qui s’interrogent sur la disparition soudaine de l’un des personnages en plein milieu du film, ceux qui questionnent Wiseau sur les incohérences du scénario et sur ses projets futurs, ou encore ceux qui demandent à Greg pourquoi, mais pourquoi donc il a participé à ce projet,il y en a pour tous les goûts. Dans tous les cas, les réponses valent leur pesant de cacahuètes, entre un Tommy qui plane et un Greg qui semble à mi-chemin entre le désespoir et l’envie de crier au monde entier que oui, ce film, c’est vraiment nawak.
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La séance de Q&A se termine : nous quittons la salle en esquivant un maximum les dizaines, les centaines de cuillères en plastique qui jonchent le sol. Nous remontons à l’étage, Tommy et Greg sont déjà de retour pour les photos et les dédicaces, et sur le stand de produits dérivés, il n’y a presque plus de tee shirt et de Bubble Heads : tout a trouvé preneur, ou presque, il ne reste pas beaucoup de choix pour les spectateurs de la séance de 22h. Qu’ils se rassurent : tout, et bien plus encore, est disponible à la vente sur le site de The Room… à des tarifs moins élevés !
En quittant le Nouveau Latina, nous avons eu le sentiment d’avoir vécu un truc que ne revivrons jamais – jusqu’à la prochaine projection WTF, tout du moins. Soyez-en assurés : il y a bien un avant et un après The Room. Il y a le monde avant d’avoir croisé Tommy Wiseau, et il y a le monde après. Et puis surtout : vous ne verrez plus jamais les petites cuillères comme avant !
Remerciements distingués à l’équipe de Panic! Cinéma qui nous a très gentiment accueillie et permis de réaliser l’interview la plus improbable de toute une vie, merci également à Greg Sestero, très sympa et très touchant, et surtout, merci à Tommy Wiseau d’exister, tout simplement !
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