Gareth Edwards n’est pas qu’un réalisateur de talent : c’est également un joyeux luron. A l’occasion de la sortie de Godzilla sur les écrans, le cinéaste a répondu aux questions de la presse dans un grand hôtel parisien. Nous étions conviés à cette rencontre.
Godzilla étant sorti dans les salles françaises il y a de ça quelques jours – notre critique est ici ! – on a désormais un peu plus de recul sur ce film qui dépoussière comme il se doit le mythique monstre japonais. Bien évidemment, si vous n’avez pas encore vu le film, on vous invite à ne pas lire ce qui suit, histoire de garder la surprise vraiment totale. Pour les autres, c’est l’occasion d’en apprendre plus sur la manière de travailler d’un réalisateur atypique, passé d’un film indépendant à une très grosse production. Vous trouverez ci-dessous la retranscription des questions les plus pertinentes auxquelles Gareth Edwards a répondu le 10 mai dernier.
Godzilla est un mythe du cinéma. Comment expliquez-vous qu’il ait toujours autant de succès ? Quelle vision avez-vous voulu en donner, au final ?
Si Godzilla a toujours autant de succès après 60 ans d’existence, c’est peut-être parce que, contrairement à d’autres types de franchises comme celles de super héros, par exemple, à partir du moment où Godzilla est présent, vous pouvez faire ce que vous voulez. Peu importe les personnages, l’histoire. Vous avez la possibilité de réinventer le film à chaque fois.
Mais pour beaucoup de monde, le film original de 1954 est très sérieux. C’est une métaphore d’Hiroshima. S’ils avaient pu faire un film sur cet événement ou sur la seconde guerre mondiale, ils l’auraient fait, mais à cause de la censure américaine, ils l’ont camouflé en film de monstre. Il y a donc un sens caché, profond. Nous avons voulu revenir aux origines : ça ressemble à de la science-fiction mais il y a un sens caché, ce n’est pas un simple film de monstre. De puis, l’aspect nucléaire, avec les événements de Fukushima, reste d’actualité : il y a toujours cette volonté de contrôler la nature. Les créatures, dans le film, rappellent qu’on ne peut pas contrôler la nature, c’est elle qui nous contrôle.
Avant Godzilla, vous avez réalisé Monsters, qui était votre tout premier film. C’était un film indépendant à petit budget. Comment est-ce qu’on gère le passage d’un film indé à une énorme production hollywoodienne ?
J’ai pensé au moment où je serais confronté, comme aujourd’hui, à la presse, et ça m’a fait très peur. Il y avait aussi la pression des fans et de la production, à cause des enjeux financiers… en vérité, vous devez éviter d’y penser. Il faut savoir que quand vous travaillez sur un tel film, vous êtes protégé, vous êtes dans une sorte de bulle. Vous passez devant des centaines de camions et caravanes pour aller directement là où sont les caméras et vous ne voyez et parlez à personne, excepté le cameraman, l’assistant réalisateur et les acteurs. Et vous pouvez vous convaincre que vous réalisez le film avec 5 personnes, alors qu’il y en a 300 en réalité.
A la fin du tournage, on a fait un petit quizz où je devais nommer chaque personne de l’équipe par son nom, et j’ai eu un score déplorable : sur les 300 membres du staff, j’ai du parler à 10 d’entres eux… vous n’avez juste pas le temps ! Mais c’est une bonne chose au final, car ça donne l’impression de travailler sur un petit projet.
Il n’y a donc pas tant de différence que ça ?
A part quand on a terminé et qu’on se rend compte de ce qu’on a fait : « Oh mon dieu, j’ai réalisé Godzilla ! » (rires).
Au niveau de la mise en scène : comment vous y être vous pris pour mettre aussi bien en avant le gigantisme des créatures ?
Il faut savoir que nous n’avions pas Godzilla sur le plateau… il n’était pas disponible, il jouait dans une pièce à Broadway (rires). C’est un truc qu’on me demande souvent : comment faire pour filmer quelque chose qui n’est pas vraiment là ? En vérité, n’importe quel plan que vous tournez, et pas seulement dans un film de science-fiction, les acteurs doivent faire semblant. Quand vous filmez une conversation, il y a une caméra par ici, un spot de lumière par là, 300 personnes qui regardent… vous ne voyez pas l’acteur avec lequel vous jouez, vous devez faire semblant. Tout est comme ça. Ce n’est pas différent lorsque vous devez faire semblant de jouer avec un partenaire de 100 mètres qui n’existe pas.
On a quand même utilisé quelques astuces, comme des lasers qu’on projetait sur les immeubles pour que les acteurs regardent au bon endroit. J’avais aussi des bruits de cris de Godzilla sur mon iPad, on les passait sur les enceintes du plateau au moment de tourner, pour aider les comédiens.
Il y a beaucoup de références à l’oeuvre de Spielberg dans votre film…
Oui ! Je crois que ce film est une lettre d’amour à Spielberg. J’ai grandi devant ses films. C’est devenu comme un langage : vous avez grandi en France, vous parlez français. Vous avez grandi en Angleterre, vous parlez anglais. Vous avez grandi avec les films de Spielberg, vous parlez le Spielberg ! Son oeuvre m’a énormément influencé.
Parlons un peu des monstres. On peut le dire, il n’y a pas que Godzilla dans le film… Est-ce que vous avez envisagé à un moment d’utiliser des créatures du bestiaire de la Toho ?
Je suis fans des créatures de la Toho mais, pour être honnête, nous n’avions pas les droits pour utiliser ces créatures. On voulait donc créer quelque chose d’unique. On a déjà pris un risque en revisitant Godzilla et en en faisant un monstre de plus de 100 mètres de haut, alors pour le reste, nous avons imaginé des créatures concordantes. On a alors pensé à des parasites, des créatures qui ont évolué avec Godzilla, d’une manière symbiotique. Ce sont des ennemis naturels.
C’est donc assez différent des films précédents, mais on ne sait jamais : si le film marche et qu’une suite est mise en route (NDLR : C’est le cas) on pourra peut-être acquérir les droits de la Toho.
Comme s’est passée votre collaboration avec le compositeur français Alexandre Desplat ?
Quand je travaille, ma plus grande inspiration est la musique, et je me suis créée une playlist sur mon téléphone lorsque j’ai commencé à travailler sur ce projet pour m’aider à me représenter ce que le film devait être. Et il s’avère qu’Alexandre Desplat était le compositeur le plus présent dans ma playlist.
J’utilisais la musique qu’il avait déjà composée avant pour illustrer temporairement les scènes de Godzilla. J’avais déjà fait ça pour Monsters. J’ai fini par le rencontrer et je lui ai montré mon premier film et le matériel dont on disposait déjà. J’avais envie qu’il dise oui… mais la première réaction qu’ont les gens quand on leur dit qu’on travaille sur Godzilla, c’est l’incertitude, l’hésitation. Je pense que c’est une réaction normale. Alexandre a été l’un de ceux qu’il a fallu rassurer en disant « Je sais à quel genre de film vous êtes en train de penser, mais ce n’est pas le genre de film qu’on est en train de faire. » Il fallait que ce soit un projet personnel pour lui, pour qu’il lui donne l’amour et le talent nécessaires pour faire quelque chose de grand.
Alexandre est le mec le plus charismatique au monde, il est talentueux : de nombreux compositeurs, une fois qu’ils ont fini d’écrire la musique, laissent quelqu’un d’autre s’occuper de l’enregistrement, ils ont une équipe pour ça. Mais Alexandre fait tout lui même : on pouvait le voir s’asseoir, regarder une scène et travailler. Parfois il changeait tout à la volée : « Enlevons ça et mettons ça à la place ». Et avant que je parte, il avait déjà écrit l’orchestration pour 100 instruments. C’était incroyable.
Est-ce que des membres du casting ont été difficiles à convaincre ? Comment s’est déroulé le choix des comédiens ?
Le casting a été très simple à monter. J’ai pensé à des gens et la directrice de casting s’en occupait, elle était parfaite. Elle a aussi fait des suggestions : « Et pourquoi pas Juliette Binoche pour ce personnage ? » et moi j’étais étonné : « On peut vraiment avoir Juliette Binoche, sérieusement ? » « Essayons ! » J’ai donc écrit un email à Juliette, en m’attendant à une multitude de réactions. Au final, je crois que je peux remercier son petit garçon car quand elle m’a appelé, elle m’a expliqué que c’est lui qui l’a convaincue de jouer dans Godzilla.
Concernant Bryan Cranston, je dois avouer que je n’ai vu que quelques épisodes de Breaking Bad et c’est surtout Malcolm qui m’a donné envie de travailler avec lui. Je me disais qu’il serait phénoménal dans un rôle dramatique : donc j’ai gardé l’idée dans un coin de ma tête, pour quand je réaliserai un film. Et, par la suite, il a eu son rôle dans Breaking Bad…
On a parlé du rôle et il hésitait comme tous les autres : « Je ne suis pas sûr, je ne sais pas si c’est pour moi. » Donc on lui a montré ce qu’on voulait faire, et envoyé le scénario. Il faut savoir que tous les acteurs du film sont des premiers choix, personne n’a refusé, au final.
Dans Monsters, vous aviez réalisé la totalité des effets spéciaux sur votre ordinateur portable. Vous n’avez pas été tenté de participer aux effets visuels de Godzilla ?
Si, en fait j’ai fait moi-même des milliers d’effets spéciaux, ça m’a pris trois semaines et je n’ai pas beaucoup dormi (rires). Plus sérieusement, au début de la production, je me suis dit que je voulais faire moi-même un plan des effets spéciaux. Le responsable m’a dit « Oui, ça serait cool, faisons ça !‘ et finalement je n’ai pas eu le temps. Je n’ai pas eu un jour de repos en deux ans, alors ça ne s’est pas fait. Mais j’aurais bien aimé modifier les inscriptions d’un panneau, par exemple, histoire de faire quelque chose.
Mais je dois dire que mon passif au niveau des effets spéciaux, puisque j’ai travaillé 15 ans dans le milieu, m’a été utile au moment de savoir ce qu’il fallait construire, ou pas, pour le tournage. Je me suis souvent dit « ne fais pas construire ça, c’est plus facile à faire sur ordinateur ».
Un grand merci à Gareth Edwards pour son temps et à Warner pour l’invitation à cette conférence de presse. Godzilla est dans les salles depuis le 14 mai.