Si vous êtes amateur d’illustrations du Seigneur des Anneaux, de Game of Thrones, ou encore de Star Wars ou de Warhammer, alors vous avez sans doute déjà croisé les travaux de Magali Villeneuve. Cette artiste autodidacte de 32 ans fait partie des artistes officiels pour ces prestigieuses licences. Mais ce n’est pas la seule corde de l’arc elfique de Magali qui, outre illustrer également des couvertures de livres, lancera son premier roman en fin d’année aux éditions de L’Homme Sans Nom. C’est d’ailleurs sur le stand de cet éditeur que nous l’avons rencontrée à l’occasion du Comic Con Paris. Interview d’une artiste qui aime parler de son travail.
Bonjour Magali ! Est-ce que tu peux te présenter un petit peu, présenter ton travail ?
Je m’appelle Magali Villeneuve, j’ai 32 ans, et je suis illustratrice professionnelle depuis six ans maintenant, puisque j’ai commencé en 2006. Je suis totalement autodidacte, c’est-à-dire que je n’ai pas fait d’école ni de formation, et donc j’ai commencé tout petit. Je suis arrivée sur le marché, j’avais mon petit portfolio qui n’avait rien à voir avec ce que je fais maintenant, avec une marge de progression quand même assez conséquente, et je m’étais lancée sans rien connaître du milieu, sans connaître personne, je n’avais pas de relations, ni rien.
J’ai commencé à démarcher par internet des petites maisons d’édition, parce que j’ai pensé à mon niveau, et par chance, ça a tout de suite mordu à l’hameçon. Ce n’était pas les contrats du siècle, c’était de la micro-édition, donc avec les moyens de la micro-édition, et j’ai commencé par faire des couvertures de livres, même si maintenant, paradoxalement, j’en fais moins, mais donc j’ai commencé par ça avec une maison de micro-édition qui était en train de se monter.
Parlons des couvertures de livres du coup ? Comment tu procèdes quand tu dois faire une couverture ? Tu lis les livres avant ?
C’est très variable, c’est surtout la méthode de l’éditeur qui change. La mienne est toujours la même. D’une part je ne lis pas les livres que j’illustre, parce que je n’ai tout simplement pas le temps. Si je devais tout lire, il me faudrait deux ou trois vies de plus. En principe, les éditeurs, quand ils fonctionnent de manière bien professionnelle, nous fournissent un synopsis du bouquin, quelques extraits d’ambiance pour nous permettre de cerner le livre, éventuellement quelques idées de base sur lesquelles partir. Certains éditeurs exigent qu’on se conforme à ces idées-là, beaucoup aussi attendent de nous une part de créativité, ou au moins de proposer des idées. Après on part sur cette base, y a quelques échanges, où on montre des croquis, l’éditeur va dire “oui, c’est pas mal, on peut garder ça, remplacer ça, adapter un petit peu”, et ensuite on passe à la phase finale.
A l’heure actuelle, je suis habituée à travailler très vite. Un processus de couverture, entre le moment où je vais commencer, pas le moment de la commande, mais entre le moment où je commence et celui où je termine, ça peut prendre trois jours.
A aucun moment l’auteur lui-même n’intervient ?
Beaucoup de maisons d’édition laissent quand même à l’auteur une certaine liberté et un certain droit de regard sur la couverture, ça se fait beaucoup, c’est compréhensible. C’est son livre, après tout. Personnellement, je trouve que ce ne sont pas des conditions idéales pour travailler, car être auteur et être illustrateur, ce sont deux métiers très différents. C’est-à-dire que les auteurs n’ont pas généralement un très bon esprit de synthèse sur leur oeuvre. Ils aimeraient bien que sur la couverture tout apparaisse, qu’on voit tout, que tout leur livre soit condensé en une seule image. Généralement, ce qu’on essaie de leur expliquer, c’est que la couverture, est un accessoire éphémère de leur oeuvre. C’est-à-dire que sur un rayonnage, comme ça, un lecteur potentiel va prendre le livre, ça va lui attirer l’oeil, mais ça ne dure que quelques secondes, parce que le lecteur prend le livre et le retourne, et là, déjà, la couverture a fini d’agir, quelque part. On sert vraiment de point d’accroche. Et par le fait, il faut que la couverture soit plus accrocheuse plutôt qu’être une synthèse parfaite et totale de l’oeuvre.
C’est vraiment un exercice très particulier. Il faut être illustrateur pour connaître cet exercice là, qui est de savoir à la fois donner une ambiance, qui parle du livre, mais ne pas trop en dire pour intriguer, c’est vraiment un équilibre assez particulier, et beaucoup d’auteurs ont du mal à se réconcilier avec cette idée là. Certains le comprennent et en reconnaissent la nécessité, ou la reconnaissent après coup, quand ils s’en rendent compte. Parfois, ils nous écrivent, et nous disent “ah oui, on est venu me voir, pour me dire qu’on avait acheté mon livre grâce à la couverture”, ou des choses comme ça. Donc là, ils comprennent qu’on a eu raison de les brusquer un petit peu. D’autres le prennent mal, c’est normal, c’est une question d’affectif par rapport à son livre. généralement ça se passe correctement. Chez l’homme sans nom, ça s’est toujours très très bien passé, car les auteurs avaient vu notre travail, à Alexandre (Dainche, également illustrateur, NDLR) et à moi-même, ils étaient contents de notre CV, du coup, ils se sont dit : on les laisse faire et on attend avec impatience de voir ce que ça va donner.
Tu as déjà eu de mauvaises expériences ?
Oui, c’est arrivé par exemple qu’un auteur me dise clairement : cette couverture, je ne me reconnais pas dedans, je vais même avoir du mal à vendre ce livre. C’est très très dur à entendre, car certains auteurs sont tellement attachés viscéralement à leur livre que quoi qu’on fasse, ce serait difficile de leur donner satisfaction, je pense.
On se rend pas compte quand on voit un livre en librairie, de tout ce processus…
Il y a beaucoup d’implications dedans, c’est-à-dire qu’on arrive à la fin de la chaîne graphique, au moment où tout le reste du travail a été fait. C’est vrai que le travail en amont est éprouvant aussi pour l’auteur : il a les corrections et toute cette phase-là qui le met déjà à rude épreuve. Alors la couverture c’est vrai que c’est encore une autre épreuve pour certains auteurs déjà mis à mal par le processus éditorial lui-même.
Parce que la couverture, c’est vraiment une des dernières étapes ?
C’est la dernière chose avant que ça parte à l’impression. Je suis toujours arrivée à un stade de production où soit les corrections en étaient à la toute fin, soit généralement ils en étaient à la jaquette intérieure, et nous on intervient à ce moment-là.
Techniquement parlant, comment tu procèdes ? Tu fais du dessin numérique ?
Avant de devenir professionnelle, je faisais du tradi. Mais j’ai vite compris la nécessité actuelle, pour être illustrateur, de faire du numérique. Maintenant, il est difficile, voire impossible, de subsister ou d’arriver sur le marché en faisant autre chose que du numérique. On peut voir que les rares, je parle vraiment d’illustrations, pas de la BD qui se permet encore des processus plus artisanaux, les rares qui font du tradi maintenant, ce sont vraiment les grands noms qui se sont fait connaître comme ça, et à qui on accorde justement le temps et la contrainte matérielle qu’impliquent une technique traditionnelle. La façon dont moi j’exerce mon métier, c’est beaucoup de pression, avec des délais souvent très courts, il faut être très réactif à la production et à la retouche, et il n’y a que le numérique qui permet ça.
Donc en général, je fais un crayonné, un crayonné tout ce qu’il y a de plus traditionnel à la base, parce que c’est vraiment ma technique de prédilection, j’adore faire ça, et c’est un atout auprès de mes clients également, de voir qu’ils sont face à un artiste qui n’est pas que numérique, qui a vraiment une base solide traditionnelle. Ensuite, je scanne, et je peins en numérique. J’insiste sur le mot “peindre”, car j’ai véritablement transposé ma technique de peinture à l’huile acrylique, au support numérique. C’est-à-dire que beaucoup de gens, on s’en rend compte quand on discute sur les salons, on a vraiment l’impression qu’ils pensent qu’on met le dessin dans la bouche de l’ordinateur, et que l’ordinateur va générer la couleur autour. C’est complètement faux. Pour moi, une illustration représente entre 20 et 30 heures de travail. C’est extrêmement fastidieux, tout pareil que le tradi, la seule différence, c’est qu’il n’y a pas le temps de séchage et qu’il n’y a pas à laver les pinceaux à la fin. Mais c’est la même exigence et comme je dis toujours, un mauvais peintre à l’huile sera un piètre peintre en numérique, parce que ça reste être peintre malgré tout.
Il y a aussi maintenant une grande partie de l’illustration qui consiste à faire du matte painting, c’est-à-dire des gens qui sont tout autant graphistes qu’illustrateurs, ils vont se servir d’assemblages de photographies, de retouches photographiques, par dessus lesquelles ils vont encore peindre. C’est encore une technique différente, ce n’est pas une technique que j’exerce. J’ai une approche finalement assez vieillotte de ma propre discipline. Peut-être aussi du fait d’être autodidacte, je n’ai pas appris les techniques actuelles, j’essaie aussi de m’y roder de mon côté, j’observe ce que font les illustrateurs que j’apprécie, je m’en inspire, j’ai appris à savoir texturer numériquement… On apprend petit à petit des choses, mais je tiens néanmoins à cette base très classique proche de mon métier.
On voit de plus en plus d’expositions de peintures numériques qu’on reproduit sur des toiles.
Tout simplement parce que c’est l’avenir. Y aura toujours des artistes peintres, mais pour l’illustration, en littérature, en jeux vidéo, les trois-quarts sont des artistes numériques. C’est vraiment la norme maintenant.
J’ai eu l’occasion récemment de voir l’exposition de Ryan Meinerding, qui s’occupe des illustrations pour les films Marvel, c’était impressionnant, mais ce qui me dérange un peu, c’est que ce ne sont plus des oeuvres qui sont uniques.
C’est vrai que c’est extrêmement dématérialisé. L’oeuvre unique existe, c’est le fichier qu’on possède dans notre ordinateur, qui est un très grand fichier, très haute définition, mais c’est vrai que ça ne se cède pas, ça reste très abstrait.
Aujourd’hui, il y a le marché des reproductions de qualité, qui va se développer, on fait des tirages sur papier glacé, comme on le fait ici, mais parfois quand on expose, on fait vraiment faire des tirages chez des imprimeurs spéciaux, qui font ça sur papier d’art, pour que le dessin reprenne un peu sa valeur tangible, qu’il perd par le simple fait de son exécution.
Cela dit, souvent, quand on ne s’approche pas trop près, on ne se rend pas compte que ce n’est pas une vraie peinture.
Non non, bien sûr. Car quand on atteint un certain niveau, le but pour un peintre numérique, c’est que ça ne crie pas “Photoshop !”. Et ça, quand par exemple on voit des aspirants illustrateurs qui viennent nous voir, on sent bien que c’est un défaut récurrent, mais c’est un passage obligé. On a tous, quand on a commencé, avec Photoshop ou un autre logiciel, on a tous commencé avec des rendus très lisses, très métalliques, un peu plastiques. Le but, c’est de s’en éloigner, pour qu’à nouveau, l’illustration ait cet air naturel, charnel.
En fait, c’est assez particulier. Outre le fait qu’il faille peindre avec l’outil numérique, comme on fait avec des pinceaux, il faut aussi apprendre à le dompter, pour le faire oublier. C’est une dimension qui n’existe pas, évidemment, en peinture normale, puisque la toile et la matière font qu’on voit tout de suite que c’est de la peinture. Là, il faut non seulement peindre, mais imiter le rendu de la peinture, en numérique. Donc c’est vrai que c’est vraiment une discipline particulière.
C’est une problématique intéressante, c’est bien plus compliqué que je me l’imaginais !
C’est vrai que c’est assez complexe, et c’est pour ça que c’est vraiment une discipline à part, et qui n’a absolument pas perdu de noblesse par rapport aux autres. Quoi qu’on puisse en dire. La seule différence, c’est que la peinture numérique est accessible à beaucoup plus de monde. D’aucun aura Photoshop, pourra s’acheter une petite tablette graphique, un ordinateur, et prétendre peindre numériquement, et produire, produire, produire. Parce qu’un fois qu’on a l’ordinateur et l’outil, on n’a pas la contrainte de devoir acheter la toile, de devoir faire les apprêts, de devoir faire tout ça, donc ça démocratise beaucoup plus la peinture.
Après, la différence se fait comme elle s’est toujours faite : il y a ceux qui ont du talent, et il va y avoir les autres qui vont faire ça pour leur plaisir. La différence est là, et c’est une technique qui commence à s’installer, on le sent. C’est vrai que c’est long pour la faire reconnaître, mais c’est une technique tout aussi noble que n’importe laquelle. Moi, je sais que mes mentors sont en partie des artistes numériques qui me touchent et me sidèrent tout autant que les artistes traditionnels. J’y retrouve les mêmes qualités de sensibilité, de la touche de pinceau, une bon artiste numérique peut procurer ça, tout comme un artiste traditionnel.
Quels sont les artistes qui t’inspirent, justement ?
Je cite toujours les mêmes à l’heure actuelle, c’est Michael Komarck, qui travaille pour Magic entre autres, ce serait difficile de tous les énumérer, il a une gestion de la lumière et de la puissance des compositions… Il a des compositions qui sont à la fois très fortes et à la fois très sobres, ce qui est plutôt rare pour un homme je trouve, sans aucune discrimination, bien sûr, et je trouve ça fabuleux.
J’aime beaucoup Mathias Verhasselt, Aleksi Briclot, en France, Jean-Sébastien Rossbach, dont j’ai beaucoup admiré l’artbook qu’ils ont fait en duo, que j’ai chez moi et que parfois je regarde avec la larme à l’oeil, parce que c’est vrai que j’adore ça, c’est magnifique. Ils ont justement cette qualité, ils ont une approche du numérique extrêmement vivante, même bouillonnante, c’est-à-dire qu’on voit le trait spontané, avec beaucoup d’énergie.
Darken aussi, j’aime beaucoup… Tous les artistes de cette même génération, qui exercent un petit peu dans la même sphère, et qui portent notre discipline au niveau qu’elle mérite pour que les gens la reconnaissent mieux et la comprennent mieux aussi.
Il y a beaucoup d’hommes, en fait. Je pensais que c’était un milieu plutôt féminin.
Non. Moi, en tant que femme, je ressens vraiment que je me situe dans un monde d’hommes, c’est aussi le genre dans lequel je travaille qui fait ça. C’est-à-dire que contrairement à beaucoup de mes homologues illustratrices françaises, je suis pas trop portée sur les fées, sur les trucs jolis… Moi j’aime bien quand c’est un peu crade, des choses comme ça. On me fait faire des elfes ou des choses comme ça parce que mon style s’y prête, mais j’ai adoré, et j’adore toujours, puisque je travaille toujours pour cette licence, travailler sur Warhammer, de Games Workshop, parce que là, c’est guerrier, c’est fort, c’est masculin, je me retrouve mieux dans ce monde là qui est dans une grande majorité un univers d’artistes masculins, dans la science fiction, fantasy, fantastique.
Comme tu le dis, tu travailles sur Warhammer, sur Star Wars, sur le Seigneur des Anneaux, sur Game of Thrones… Comment est-ce qu’en tant qu’illustratrice française, autodidacte, on en vient à travailler avec des grosses boîtes comme ça, américaines ?
Disons qu’on passe la première partie de sa carrière à se donner du courage, il faut avoir un book suffisamment solide pour être crédible quand on postule auprès de compagnies comme ça. La façon dont j’ai connu la compagnie pour laquelle je travaille, c’est que j’avais été à la Fnac, et que j’avais vu l’artbook qu’ils avaient publié du Trône de Fer. Alors, il n’y avait pas que des dessins à eux dedans, c’était un recueil qui était assez large. Mais j’avais vu cette compagnie à plusieurs reprises.
Il faut savoir que quand j’ai commencé à être illustratrice, un de mes grands trips, de mes grands rêves, c’était de pouvoir illustrer un jour pour… il y en avait trois. Trois sagas de Fantasy pour lesquelles je voulais illustrer. Ca aurait pu être soit la Roue du Temps de Robert Jordan, soit l’Assassin Royal de Robin Hobb, ou Le Trône de Fer. N’importe laquelle me convenait. C’était un petit peu un rêve inaccessible, il faut bien le dire. Et là, je me suis dit : “bon, on va essayer, on perd rien à essayer”.
J’ai donc envoyé mon portfolio aux Etats-Unis. On m’a répondu la réponse un peu glaçante qu’on reçoit souvent : “oui, nous avons bien reçu votre portfolio, mais il risque de se passer quelques temps avant qu’on fasse appel à vous.” En général, on voit en grandes lettres lumineuses “non non non” qui clignote.
Donc bon, je ravale, et trois jours plus tard, je reçois un mail de la directrice artistique qui me contacte et qui me demande si je veux travailler sur le Trône de Fer.
Donc là, chute de la chaise, tu vois…
J’ai commencé très petit au sein de cette entreprise, une, deux illustrations, il s’agissait de faire ses preuves, puisqu’on me l’a expliqué bien plus tard, le processus. On m’a dit “oui mais tu sais, quand on prend un nouvel illustrateur, on le teste, on voit ce qu’il est capable de faire, on voit s’il est capable de suivre, parce que les cadences sont particulières…” L’exigence de travail est assez importante, il faut aussi être un petit peu blindé contre ça.
Petit à petit, ça a évolué, j’ai continué à faire le Trône de Fer, jusqu’au jour où je reçois un autre mail qui me dit : “Est-ce que tu veux travailler pour Warhammer ?” Alors là… Ça ne faisait pas partie des mes envies de base, mais Warhammer, c’est un petit peu un Saint Graal aussi ! Donc ça a continué d’évoluer comme ça, jusqu’au jour où ça a encore évolué, puisque la compagnie venait d’acheter les droits du Seigneur des Anneaux, et du Hobbit, auprès de la Middle Earth Enterprise, et j’ai eu la grande, grande chance et le grand privilège de faire partie des illustrateurs qui ont défriché l’univers graphique du jeu Lord of the Rings qui est sorti il y a quelques temps de cela, et qui rencontre vraiment un super succès. Je fais donc partie des pionners, de ceux qui ont créé, installé le style pour Le Seigneur des Anneaux, qui est actuellement la licence, chez Fantasy Flight Games, au sein de laquelle j’ai le rôle le plus important, parce que j’ai une place particulière qui fait que j’ai la chance de faire beaucoup les personnages principaux, les choses attendues par les fans, des choses comme ça.
Ensuite est arrivée l’opportunité Star Wars, toujours de la même manière. Donc là, re-tomabge de chaise, ça finit par devenir presque… complètement dingue. Parce que c’est une entreprise très importante, et en plus on est sous la houlette de Lucas Films, de Middle Earth, de George Martin pour le Trône de Fer. Donc c’est tout ce qu’il y a de plus officiel, stimulant, paralysant, parce que l’enjeu est gros, on le sait de toute façon.
Bref, c’est le trip total !
Il y a des choses imposées ? Quand tu dessines un elfe, est-ce qu’on te dit “il faut que les oreilles soient comme ci ou comme ça ?”
De toute façon, la directive de base est très simple, elle est double : il ne faut pas que ça ressemble à du Peter Jackson et il faut que ça se rapproche du livre. Donc les directeurs artistiques, ce sont eux qui nous dirigent, ils sont très documentés, ils ont des gens en interne qui s’y connaissent très bien dans l’oeuvre, qui sont capables de vous sortir des détails que vous ne savez même pas qu’on peut retenir ça. Ils connaissent tout, limite la couleur des lacets de Gandalf, un truc de fou. Donc on est très bien entourés là dessus, très bien documentés, et donc très cadrés par rapport à ça. Nous même on se documente, on relit des passages du livre, il n’y a pas d’improvisation. Enfin si, il y a l’improvisation de la création, mais il faut être aussi fidèle que possible, tout en apportant à cette oeuvre qui existe depuis maintenant depuis très longtemps, une touche de modernité. On est de jeunes illustrateurs, on a une approche très différente des John Howe, ou Alan Lee, qui eux ont installé le style Seigneur des Anneaux en rapport avec leur époque.
Ce n’est pas compliqué parfois de se détacher des représentations déjà faites, de ce qu’on a tous en tête ?
parfois, on le fait malgré soi, parce que c’est vraiment dans l’inconscient collectif. Quand on m’a commandé le Balrog… Pour moi, il n’y pas de vision plus ultime que celle de Peter Jackson. Et c’est vrai que la description qui en est faite dans le livre, c’est difficile d’imaginer autre chose que ce qu’on voit dans le film de Peter Jackson, honnêtement. Mais passer outre le fait que parfois ça nous échappe, je trouve ça au contraire extrêmement stimulant, parce que justement, créer autre chose sur cette oeuvre qui permet tellement d’interprétations possibles, ce serait dommage de s’en priver je trouve, au contraire. C’est vraiment un terrain de jeu totalement inépuisable pour un illustrateur, et très stimulant parce que ça vous oblige à sortir vraiment.. A montrer qui vous êtes, et imprimer votre style, c’est un privilège sans nom, véritablement.
Et quand je vois des gens qui viennent à moi et qui disent : “Olàlàlà, votre Legolas, votre Galadriel…”
J’ai eu par exemple, une jeune fille, moi, je peux pas être blasée de ça, c’est pas possible, une jeune fille qui me dit : “je peux vous prendre en photo ? J’ai jamais rencontré d’autres illustrateurs du Seigneur des Anneaux, est-ce que je peux me prendre en photo avec vous ?” Nous, on a un métier très solitaire, on est toujours derrière notre ordinateur, on sort jamais, moi je travaille 15h par jour, 7 jours sur 7. Forcément, on a du mal à se rendre compte de la portée que ça peut avoir. Oui, on reçoit des mails, des choses comme ça, mais c’est ensuite, quand vous vous retrouvez en salon, des gens qui font le déplacement, pour venir vous voir, VOUS. Et vous vous rendez pas compte de cette évolution là, on s’en rend pas compte, on sait qu’on travaille sur des licences importantes, mais on se rend pas compte de la portée que ça a. Du fait que ce soit publié partout dans le monde. Moi j’habite dans les Vosges, dans mon petit coin, personne ne me connait. Mais dans le milieu spécialisé, vous vous rendez compte que votre nom commence à avoir une résonnance, grâce à des sujets qu’on vous a donnés, comme ça. C’est assez étonnant en fait. On ouvre des yeux comme ça “mais vous nous connaissez ? Ben enchantée…”
Ton travail, c’est de faire sortir quelque chose de l’imaginaire…
Oui, c’est ça. Et essayer de parler à l’imaginaire des gens, essayer de leur faire plaisir, qu’ils s’évadent, et surtout, de faire honneur… Des fans du Seigneur des Anneaux, du Trône de Fer ou de Star Wars, il y en a des tas, et on a aussi à coeur de leur faire plaisir, tout simplement, parce que sans eux, nous on n’est pas là, eux, c’est le nerf de la guerre, ce sont eux qui génèrent la demande, qui génèrent tout ça, et qui légitiment l’existence de notre place dans tout ça.
Dernière question, un peu traditionnelle : sur quoi tu travailles en ce moment, as-tu des projets ?
Bon, en ce moment, la plupart de mon temps est occupé par Fantasy Flight Games. En ce moment je travaille, en vue de la Gen Con à Indianapolis qui va avoir lieu, sur une commande spéciale sur le Trône de Fer, donc je ne peux pas en dire davantage, mais ce sera assez énorme au sens propre, à la Gen Con.
Et je continue à travailler sur Star Wars et le Seigneur des Anneaux principalement. J’ai également pas mal de commandes de couvertures. Je continue quand même à faire des couvertures de livres, pas tant que ça en France. L’Homme Sans Nom est l’un de mes seuls clients français. Je travaille beaucoup avec le Canada par contre, où là je dois faire des couvertures de livres axés sur une tranche d’âge adolescente, parce que mon style s’y prête pas mal, un peu gothique, bien dans la mouvance un peu bit lit. Mes commandes se situent beaucoup là.
Et en marge de cela, y a un projet personnel qui me tient beaucoup à coeur, à moi et à mon compagnon, et illustrateur également, Alexandre Dainche, qui travaille également dans la même compagnie que moi, sur les mêmes licences. Nous allons publier au mois de novembre chez L’Homme Sans Nom une saga de dark fantasy dont je suis l’auteur et dont Alex est le co-scénariste, et qui s’intitule La Dernière Terre. Elle va avoir cette particularité, outre l’aspect littéraire de la chose, comme on est illustrateurs, on va exploiter cette facette-là, donc créer autour toute une gamme de supports visuels de cet univers, avec notamment en projet un artbook encyclopédique qui va rassembler nos illustrations. A l’intérieur du Tome I, il y aura un livret d’illustrations avec des dessins à nous, mais aussi nous avons eu la chance d’arriver à fédérer certains grands noms du cinéma ou de la bande-dessinée, comme Jacques Lamontagne, qui est un grand bédéiste, et Cent Alantar est un grand architecte mais qui a travaillé également chez Disney sur des productions comme Kuzco, Tarzan… Ils vont faire des dessins pour nous, dans le Tome I, dans le livret, pour la grande sortie en novembre, mois durant lequel le Tome I et le Tome II sortiront en même temps.
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Merci Magali !
Propos recueillis par Audrey, transcription par Aurigabi.
C’est super intéressant de découvrir ce métier. C’est là que tu réalises qu’il faut quand même une sacré imagination pour arriver à se sortir de l’image collective d’un personnage pour arriver à en montrer une autre lecture en 3 jours de temps… J’aimerai vraiment voir son Balrog !
Il est là :)
http://www.magali-villeneuve.blogspot.fr/2012/06/lord-of-rings-lcg-balrog.html
Un très bon article qui reflète bien le métier actuel d’illustrateur.
Il est clair que de nos jours le numérique prédominent, et pour être rentable rien de telle qu’une bonne tablette wacom et photoshop.
-Pit-