Après une ouverture pour le moins réussie, l’étrange festival entrait réellement dans le vif du sujet avec sa première journée de programmation pleine. Entre comédies grinçantes, films plus ou moins anciens, et nouveautés, retour sur cette deuxième journée de festival.
A peine remis des premières émotions, il faut déjà y retourner ! Bon, on a connu plus difficile que de retourner à l’Etrange festival, c’est vrai. D’autant plus quand on commence la journée de cette manière.
Projeté dans le cadre de la compétition internationale, Touristes est le nouveau film de Ben Wheatley, à qui nous devons le très bon Kill List, diffusé l’an dernier au festival et sorti il y a quelques mois seulement en salle. Pour son nouveau film, le réalisateur Britannique change de registre pour nous offrir une comédie noire, mordante, et surtout un excellent film.
Une jeune femme de 34 ans, Tina, vivant avec sa mère, envahissante et ne cessant de trouver des moyens de la faire culpabiliser, s’affranchit quelques jours de son univers en partant en vacances avec Chris, son nouveau conjoint. Mais entre les visiteurs irrespectueux, les enfants bruyants, la « compétition sociale » entre touristes, Chris va rapidement se montrer prêt à tout pour ne pas laisser tout cela gâcher « leurs » vacances.
Sur fond de campagne anglaise et de road movie, Ben Wheatley signe donc ici une œuvre méchamment drôle, où le cliché des amants criminels est évité tant les personnages agissent sans un soupçon de cynisme. Chacun à leur manière, son en effet convaincu du bienfondé de leur comportement, quitte à se trouver les excuses les plus invraisemblables pour se justifier l’un envers l’autre : en tuant cet homme, tu mets fin aux consommations d’énergies liées à son existence, lui dit Tina, avant que Chris ne conclue sur un hilarant : « le meurtre, c’est écolo ».
Evitant les pièges et le déjà vu, Ben Whetley nous épargne les traditionnelles parties de cache cache avec la police ou les séquences remords pour se concentrer uniquement sur ses personnages centraux et leur univers. Il livre ainsi un film extrêmement bien conçu, rempli d’humour noir, qui évite les excès de pathos ou de conclusion à rallonge. On s’en tient au sujet, et c’est toute l’efficacité du film. Touristes devrait sortir en salle fin décembre, on vous le conseille fortement.
L’après midi se poursuivait avec des longs-métrages plus anciens : l’excellent Freaks, de Tod Browning, film culte des années 30, était projeté dans le cadre de la carte blanche de Kenneth Anger. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que près de 80 ans après, le film n’a rien perdu de sa superbe.
En parallèle, Driver, de Walter Hill, était proposé dans le cadre de la thématique Motor Psycho. Ce film, Nicolas Winding Refn l’avait ouvertement cité comme modèle pour son fabuleux Drive. Et rien quand on voit la séquence d’introduction, on comprend rapidement la très forte influence de ce métrage sur la bombe du Danois. Certains brefs passages sont à la limite du clonage, mais le réalisateur Refn l’avait dit lui même, assumant l’hommage. Néanmoins, passé la séquence d’introduction, et le côté taciturne du personnage du Driver (joué par un autre Ryan, O’Neal), la comparaison s’arrête là. Ici, notre chauffeur est confronté à un policier arrogant (Bruce Dern, vu récemment dans Twixt), qui le met au défi d’accepter le job pour voir lequel des deux gagnera : si le chauffeur gagne, il sera libre de repartir, si le flic gagne, il met fin à la carrière du Driver. Un très bon film en passant, qui respire à plein nez les 70’s, et quel plaisir que de ressentir dans la salle les vrombissement des moteurs de voitures d’époques lors de deux courses poursuites hallucinantes en plein San Francisco.
Attendu au tournant, en tout cas pour votre serviteur, après l’immense Balada Triste, Alex de la Iglesia faisait ce jour son retour au festival avec la projection en avant-première de son nouveau film, « un jour de chance » (la chispa de la vida). Comme il est de coutume avec le cinéaste, si l’humour grinçant est toujours présent tout le long du métrage, il est une fois de plus nécessaire de ne pas s’attendre à une ressucée de son précédent long. Exit l’ambiance dramatique et oppressante de nos clowns amoureux, le réalisateur espagnol retourne cette fois à la comédie grinçante.
Un jour de chance, c’est donc l’histoire d’un publicitaire au chômage qui, par un concours de circonstance absurde, se retrouve immobilisé dans un musée, une tige en fer plantée dans la tête. Il comprendra alors très vite qu’il peut tirer profit de cette situation. Comme souvent chez Alex de la Iglesia, le film est porté par un casting sans failles où même les plus petits second rôles sont tenus avec une justesse incroyable. Sur une situation improbable, le réalisateur parvient à tisser un discours sur fond de crise, de désir de reconnaissance, de peur de l’avenir et de son incertitude, le totu sur une note humoristique et caustique très justement dosée : ni trop envahissante, ni trop légère, l’humour cynique du film sait s’effacer pour laisser place à une scène déchirante lors du monologue de son personnage principal. Un dosage qui contribue à la belle réussite qu’est ce film, et qui mérite que l’on y prête attention lors de sa sortie. Attention néanmoins, ne vous attendez pas à un Balada Triste bis, on retourne plutôt dans le registre des comédies telles « Le crime farpait » avec autant de réussite et de singularité.
Enfin, deux événements marquaint la soirée au forum des images : d’un côté, le premier concert de l’Etrange Musique, avec Black Mass Rising. De l’autre, la projection du long métrage en compétition Citadel, de l’Irlandais Ciaran Foy, présent pour l’occasion.
Mettant en scène les tourments d’un jeune père devenu agoraphobe suite à l’agression de sa femme par un gang de jeunes, le réalisateur a confié s’être inspiré de sa propre expérience (il est lui même devenu agoraphobe suite à une agression violente à 18 ans), qu’il a mélangé avec son amour pour le cinéma de genre. Il en ressort un film sombre, triste constat sur la banlieue Irlandaise et ses tours (ses citadelles…) où le chaos semble régner. Le jeune père, très justement interprété par Aneurin Barnard, n’aura rapidement d’autre choix que de retourner sur les lieux de son trauma, occasionnant quelques scènes d’attaques assez tendue. Catharsis pour le réalisateurs, parcours initiatique pour le protagoniste afin de vaincre sa peur, la violence et la misère y sont décrites comme une épidémie que seule une solution radicale peut stopper. Et les quelques tentatives de discours « social » sur le manque d’affection sont rapidement mises à mal par le cours des événements (attention, nous ne prêtons aucune intention ou discours à l’auteur ici, nous relatons simplement ce qu’il nous semble ressortir du film, nous n’assimilons pas nécessairement un propos scénaristique à la pensée réelle de son auteur).
Toujours est-il que cette mise en abime des événements offre au public un film très noir, flirtant presque avec le post-apocalyptique dans sa vision d’une ville en ruine avec ses zones infestées de « créatures », et offre quelques moments de pure tension tant les attaques se veulent sauvages et violentes, sans jamais tomber dans le voyeurisme ou la justification : ainsi, dans un bus, une attaque du gang est ainsi ressentie avec ses tripes par le spectateur, alors qu’elle se déroule quasi intégralement en hors champ ou dans un reflet de vitre.
Un bon film donc, qui vient conclure une très belle journée de festival. Mais il est encore trop tôt pour se prononcer sur tel ou tel challenger pour le prix Nouveau genre.
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