Fort d’une filmographie courte mais appréciable, Christopher Smith continue sa route dans le domaine de l’horreur avec un troisième film qui débarque chez nous en vidéo sans connaître les joies des salles obscures. Triste constat pour ce qui se révèle être son meilleur titre, auréolé cette année à Gérardmer du prix de la meilleure vidéo inédite.
Un petit groupe d’amis s’aventure en mer dans le triangle des Bermudes à bord d’un voilier et font face à une violente tempête. Un paquebot les accoste pour leur porter secours, mais il se retrouve étrangement vide…
A l’instar de Neil Marshall, Christopher Smith est l’un de ces réalisateurs britanniques qui font leurs armes dans le cinéma horrifique tout en y posant leur pierre à l’édifice. Son premier long Creep, malgré un scénario faiblard, est une œuvre honnête et maitrisée à l’ambiance oppressante. Son deuxième film change littéralement de voie en surfant sur le succès de Shaun of the dead. La comédie est de mise mais flirte sévèrement avec l’horreur en empruntant les sentiers sur survival. Succès à demi-teinte pour ce Severance qui se révèle sympathique mais qui ne marque nullement les esprits, faute à un Creep plus viscéral et un Shaun of the dead plus inspiré.
Triangle tranche une fois de plus avec ses prédécesseurs. Halte aux films de monstres et aux psychopathes de la gâchette, place au thriller psychologique saupoudré de fantastique.
Triangle est une de ces œuvres dont il est difficile d’y poser une étiquette lorsque l’on regarde le film, vierge de toute information, tant le rythme est particulier. La première demi-heure nous présente Jess, une mère célibataire dépassée par l’éducation de son fils autiste. Le film s’ouvre sur une séquence bercée par une mélodie légère et mélancolique et dénote une touche surnaturelle au quotidien de Jess. Un sentiment de solitude s’installe d’emblée et s’oppose à une image exagérément lumineuse et chaude. On erre entre une ambiance fantastique et l’imagerie d’une production indépendante et en ce sens, on constate un véritable travail de mise en scène. Chaque plan est étudié et chatouille la rétine tant la photographie est belle.
Triangle se définit par trois actes bien distincts dont la première sert de longue introduction qui ne livre quasiment aucun indice sur la véritable nature du film. Elle se concentre en premier lieu sur le personnage principal, Jess, que l’on reconnaît sous les traits d’une Melissa Georges (30 jours de nuit, Mulholland Drive) plutôt convaincante en femme dépressive détachée de son environnement. Ce n’est pas tant dans sa qualité de jeu que le personnage se démarque (dans la mesure où Melissa doit avoir une palette très réduite d’expressions dans ce film), mais plutôt dans à travers une mise en scène qui instille un sentiment de névrose irréelle. La deuxième partie débute au moment de la tempête et fait office de transition avec la troisième qui place l’intrigue sur un paquebot. C’est à ce moment précis que le film commence réellement et dévoile véritablement ses enjeux.
Le film de Christopher Smith prend le risque de se poser pour fignoler son atmosphère et joue grandement avec la patience de son spectateur. Si l’enrobage est sacrément peaufiné, l’intrigue prend malheureusement trop de temps à s’installer et ne nous aiguille que très tardivement sur la nature de ses propos. Toutefois ce détour s’avère finalement judicieux et cultive malicieusement la surprise qui survient au bout de trente minutes.
Il est difficile de parler de Triangle sans en révéler les grandes ficelles mais il serait criminel de gâcher la surprise que réserve le film tant il mise sur le suspense et les révélations. Et pourtant, dès que l’on comprend de quoi il en retourne, le film nous prend totalement par la main et révèle toutes les ficelles avec une certaine lourdeur. On passe donc d’une introduction opaque à une conclusion limpide, c’est à se demander pourquoi il y a un tel déséquilibre. Toutefois Christopher Smith est suffisamment habile pour nous tenir en haleine jusque la fin notamment grâce à un esthétisme maitrisé de bout en bout. On soupçonne un budget dérisoire mais le film n’en souffre jamais en terme de qualité visuelle. Les décors sont surréalistes, l’intérieur du navire fait défiler des pièces somptueuses et colorées dans des tons rougeâtres qui rappellent les salles de théâtre. Les personnages s’y perdent et s’enfoncent dans de longs couloirs exigus aux notes rétros.
Dans le fond comme dans la forme, le réalisateur ne cherche jamais à se complaire dans la simplicité et si le sujet abordé n’est pas au sommet de l’originalité, le traitement de l’histoire est suffisamment tortueux pour nous tenir en haleine. Le spectateur évolue au même rythme que l’héroïne car l’ensemble du film se vit à travers son regard.
Il fleure au dessus de Triangle un sentiment de pessimisme, de psychose et de fatalité. Triangle fait pénétrer en vous un sentiment de malaise qui laisse place à beaucoup de questionnements et nul doute que bon nombre de personnes en ressortiront avec une interprétation différente.
Un titre dont il est difficile d’en parler sans trop en dire, qui en agacera certains pour la lenteur de son introduction, et qui en réjouira d’autres pour son ingénieuse maitrise de la mise en scène ainsi que son suspense. Compte tenu de son maigre budget, Christopher Smith nous livre une œuvre personnelle qui remplit entièrement son cahier des charges et qui va même au delà de nos attentes. Il est bien dommage que son meilleur film soit celui qui ait été évincé de nos salles de cinéma. Il nous tarde de découvrir le prochain !
Bonus DVD / Blu-Ray
Film / film annonce / des interviews exclusives de l’équipe du film / scènes coupées / making of
[DVD] VO et VF en 5.1 Dolby Digital et DTS Digital Surround / sous-titres français / Format 16/9 compatible 4/3 – 1.85
[Blu-Ray] VO et VF en 5.1 DTS-HD Master audio / sous-titres français / format Haute définition 1080i – 16/9
Sur le DVD, il est mentionné des interviews et des scènes coupées,elles sont en réalité intégrées dans le making of qui est assez conséquent (42 minutes) et riche en informations.
Triangle de Christopher Smith, en DVD / Blu-Ray depuis le 14 juin 2011 (CTV International)