Anglais, talentueux et totalement déjanté : c’est en ces trois termes qu’on peut résumer Rufus Dayglo, mais également Tank Girl, l’héroïne du comic book du même nom dont il assure une partie du dessin dans la nouvelle série démarrée en 2007, toujours avec Alan Martin au scénario. Rufus Dayglo est un véritable phénomène qui ne mâche pas ses mots, pour notre plus grand plaisir, il faut bien l’avouer ! Voici la transcription de notre interview réalisée lors du Comic Con France 2011.
Bonjour Rufus ! Avant de parler de Tank Girl, pouvez-vous nous dire quelques mots sur vous ?
Bonjour, je m’appelle Rufus Dayglo, je suis auteur de bandes dessinées. J’habite à Londres et je dessine Tank girl régulièrement. Mais avant ça, j’ai travaillé pour 2000 AD, une revue britannique qui publie de la science fiction. J’ai travaillé aussi avec Ashley Wood et nous avons travaillé sur des projets comme le comic book tiré du jeu vidéo Metal Gear Solid ensemble. Je travaille actuellement pour sa compagnie, threeA, et ma nouvelle série sera éditée par cette dernière. J’ai fait beaucoup d’animation aussi, j’ai animé beaucoup de merdes comme le lapin Nesquik, que je déteste. S’il vous plaît, n’achetez pas de Nesquik ! Ce n’est pas ma faute… j’ai aussi animé les clips de Gorillaz, et j’ai aussi animé… en fait, j’ai animé beaucoup de lapins, comme Bugs Bunny, je ne l’aime pas beaucoup… n’achetez pas Bugs Bunny ! Restez loin des lapins. Je ne sais pas pourquoi on doit animer autant de lapins mais quand vous faites de l’animation, vous animez des lapins. Donc en résumé, c’est ce que je fais, c’est dessiner des filles, des tanks et des lapins.
Pouvez-vous nous raconter comment vous êtes arrivé sur la nouvelle série Tank Girl ?
Tank Girl ? Grâce à eBay. C’était un accident, en quelque sorte. Un jour, je dessinais pour 2000 AD et, alors que j’étais supposé travailler, je suis allé sur ebay. Et j’ai acheté un extrait du scénario de Tank Girl d’Alan Martin, le scénariste, parce qu’ils ont arrêté Tank Girl en 1995 et il n’y avait eu aucun nouveau numéro depuis. Et vers 2005/2006, 10 ans après qu’ils aient arrêté, je regardais sur eBay et j’ai vu « une histoire non publiée de Tank Girl ». Je me suis dit « oh cool !», et ça ne coûtait que 3 livres, et je me suis dit « eh bien, je peux me l’offrir pour seulement 3 livres ». Donc je l’ai acheté et au moment de payer, j’ai vu qu’il était vendu par Alan Martin lui-même. Alors je lui ai envoyé un message pour lui demander « wow, que faites-vous maintenant ? Vous préparez le prochain Tank Girl ? » et il m’a répondu « non non, c’est une série que j’ai écrit mais ça n’a jamais été publié parce que Jamie s’occupe d’autres choses ». Alan travaillait alors dans un pub où il servait de la bière. Donc je lui ai demandé pourquoi ne pas faire un nouveau Tank Girl et il m’a répondu que Jamie n’avait pas envie de le faire, il travaille sur Gorillaz, c’est une « rock-star » maintenant et qu’il ne connait aucun autre artiste. Il vit au nord du pays et il ne connait personne. Je lui ai parlé de mon ami Ashley Wood qui aime Tank Girl, que c’était un artiste célèbre et qu’il était incroyable, qu’il dessine de belles femmes et des superbes tanks et qu’il devrait le mettre à l’essai.
Donc il est venu me voir à Londres, et je lui ai montré les travaux d’Ashley, il a fait la couverture de ce livre d’ailleurs (Tank Girl: Visions of Booga NDLR). Et il a adoré. Ashley a commencé à dessiner pour cette série mais il s’est vite retrouvé très occupé. Il a travaillé sur un premier numéro puis il m’a demandé si je pouvais l’aider et j’ai fini par reprendre son travaille. Pour résumer, je dessine Tank Girl parce que j’ai dépensé 3 livres sur ebay !
Le style graphique de la nouvelle série est très proche de celui de l’originale, dessinée par Jamie Hewlett…
Jamie et moi lisions les mêmes choses, comme par exemple 2000 AD, donc nous copions tous les deux les mêmes artistes, comme par exemple Brendan Mccarthy, et nous adorions tous les deux Mad Magazine aussi. Et quand j’étais petit je lisais Tank Girl également. J’ai aussi travaillé sur les animations de Gorillaz donc je connais bien son style. Je ne peux pas dessiner comme Jamie car il dessine mieux que moi. Cela doit fonctionner parce qu’on aime tous les deux l’animation et les mêmes blagues… mais il dessine vraiment mieux que moi.
Par contre, l’un des changements majeurs par rapport à la première série, c’est que la nouvelle est en couleurs.
La version originale était en noire et blanc parce qu’elle était publiée dans un magazine en noir et blanc appelé Deadline, imprimé dans les années 80 et c’était un magazine indépendant. Ils n’avaient pas beaucoup de moyens donc c’était en noir et blanc. La plupart des bandes dessinées en Angleterre sont en noir et blanc. Et puis il y a eu des bandes dessinées en couleur mais c’était vraiment de la merde en couleur, parce que les planches d’origines étaient conçues pour être en noir et blanc et il y avait trop d’espace en noir, donc avec les couleurs, c’était vraiment bizarre.
Quand nous avons commencé la nouvelle série, nous l’avons conçue pour un lectorat américain plus moderne, et la majorité des comics modernes américains sont en couleurs. Donc nous avons colorié Tank Girl de la façon dont nous le voulions, et j’aime quand ça ne semble pas réaliste donc avec mon équipe je me suis arrangé pour que les couleurs soient un peu moches comme dans ces vieilles bandes dessinés ratées. Mais on vient juste de sortir un nouveau livre intitulé « We Hate Tank Girls » qui est en noir et blanc, comme l’original. Il est publié par Image et tout en noir et blanc et en demi-teintes. Et moi j’ai adoré travailler dessus parce que ça me rappelait les BD avec lesquelles j’avais grandi. J’adore les bandes dessinés en noir et blanc mais les américains préfèrent la couleur…
Les américains ne sont pas du tout réceptifs aux comics en noir et blanc, selon vous ?
Pas vraiment, parce qu’ils ont une histoire avec les bandes dessinées en couleur tandis qu’en Europe, c’est avec les bandes dessinées en noir et blanc. Notre réaction serait « Oh, c’est en noir et blanc, ok » tandis que de leur côté ce serait plutôt « Hey mec, ils ont oublié de colorier les dessins ! » et ils ne peuvent pas le comprendre. Je pense que pour eux, c’est comme regarder la télévision en noir et blanc, ils vont penser que quelque chose ne tourne pas rond avec la télé. Ils préfèrent quand les choses sont en couleurs mais je préfère le noir et blanc.
Il y a quand même quelques exceptions, comme The Walking Dead qui cartonne aux USA et qui est en noir et blanc…
Absolument, mais c’est une exception, et une superbe exception. Mon ami Charlie la dessine et il est vraiment talentueux. The Walking Dead est une bande dessinée indépendante publiée par Image. S’ils étaient allés voir Marvel ou DC en disant « nous voulons faire une bande dessinée avec des zombies en noir et blanc », on leur aurait dit d’aller se faire foutre. Mais ils ont présentés leur projet auprès d’Image Comics et c’était plus judicieux comme choix. Et il y a maintenant une série télévisée en plus, donc c’est une bonne chose pour eux. Mais les grands éditeurs aux Etats-Unis ont peur des bandes dessinées en noir et blanc. Il y a très peu de gens qui proposent des travaux en noir et blanc dans ces compagnies. Il y a Mark Chiarello qui a publié la série « Batman: Black & White » et qui s’est entouré de brillants artistes pour produire ces histoires. C’était cool et intéressant aussi car il choisit des artistes très différents des auteurs américains « classiques ». Mais ces compagnies préfèrent quand même une merde de qualité donc…
Et à part ça, il parait que vous êtes un grand collectionneur de robots, vous pouvez nous en parler un peu ?
J’ai vécu au Japon quand j’étais petit et j’étais obsédé par Gundam, une série japonaise avec des robots. J’ai commencé à collectionner une douzaine de robots quand j’étais petit. Et j’ai toujours adoré la série car ils ont un vrai soucis du détail et de la sculpture. Et les japonais croient en la série comme quelque chose qui pourrait fonctionner, et c’était plus intéressant que notre science-fiction. J’aime beaucoup les robots des années 70/80, robustes et un peu « cubiques », je n’aime pas vraiment les nouvelles versions high-tech. Je préfère les versions d’origines, qui ressemblent un peu plus à de grosses boîtes. J’ai passé ma vie à rechercher une fille qui ressemble à un robot Gundam, si vous en connaissez qui ressemblent à un de ces Gundams, donnez moi leurs adresses, j’aimerais bien les rencontrer !
Vous avez d’autres centres d’intérêts un peu geek ?
Vous pensez que mes robots sont geeks ? Merde alors… je ne sais pas, je vis avec un chat qui s’appelle Ripley, c’est le nom de l’héroïne des films Alien. Mais elle n’est pas très geek, elle tue beaucoup de souris. Hmm… je passe mon temps à dessiner des personnages imaginaires et je vis avec des robots… j’ai vécu dans une usine de cacahuètes, entouré de divers artistes, donc j’ai été très chanceux. Etre assis, boire du café, manger du chocolat, dessiner et vendre des images… je suis un garçon très chanceux, je n’ai pas besoin de grandir.
Aimeriez-vous dessiner pour un groupe de musique comme Gorillaz ?
Oui, peut-être. J’ai grandi dans une atmosphère rock ‘n’ roll et j’ai connu des gens dans cette mouvance. J’ai été ami de Dee Dee des Ramones. Après sa mort, j’ai demandé à sa femme Barbara si on pouvait utiliser Dee Dee dans le comic, et ainsi, dans Tank Girl: Skidmarks qui va bientôt sortir en France, il est un des personnages. Dee Dee y conduit une Volkswagen dans une course automobile, vêtu comme un soldat allemand – car sa mère était allemande et il était fier de ses origines, donc je me suis dit qu’il serait fier de conduire une Volkswagen avec un casque allemand. Donc nous en avons fait un personnage de comic, c’était très amusant ! Faire quelques choses pour un groupe est amusant, mais travailler avec des musiciens non… Ce sont tous des p**** d’idiots ! Vraiment. C’est la dernière chose que je souhaiterais faire. Ne vous embarquez jamais avec eux. Les musiciens sont des animaux. L’un comme l’autre sont de vrais emmerdeurs. Soyez prudents.
Vous ne les considérez pas comme des artistes, comme vous ?
Oh, ce sont des artistes, mais ce sont des emmerdeurs ! Les musiciens sont les gens les plus égoïstes que je connaisse. C’est difficile de s’entasser avec eux car ils vous donnent des coups de coude.
J’ai lu sur votre blog, avant que vous ne veniez au Comic Con, que vous vouliez profiter de votre séjour pour « mal parler français ». C’est le moment !
« Merde ». Et aussi « Putain ». Je suis très bon pour insulter mais à part ça… j’aimerais apprendre le français car je voudrais travailler avec des éditeurs français et peut-être même vivre en France. La plupart des français ont l’injure facile aussi. Ils fument beaucoup et ils insultent facilement, donc je suis sur la bonne voie je pense.
Merci à Rufus pour son temps ainsi qu’à l’agence 8 Art Média. Tank Girl est publié en France aux éditions Ankama.
Entretien réalisé par Audrey Oeillet, Alexis « Russ » Sannier et Arnaud Doucerain. Traduction par Yanavuth Suos et Arnaud Doucerain.
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