11 jours de festival, des surprises, quelques déceptions, des moments purement what the fuck : du 6 au 16 septembre, la terre s’est arrêtée de tourner pour l’un des festivals de cinéma les plus intéressants de l’hexagone. Petit bilan de cette 18e édition de l’Etrange festival de Paris.
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Le palmarès
Pour sa troisième année d’existence, le prix Nouveau Genre, qui donne au film retenu le privilège d’une diffusion sur Canal +, a de nouveau récompensé un film européen. Et c’est Headhunters, le décapant film d’ouverture, qui a succède ainsi à Buried et Bullhead !
Un prix, qui peut toutefois surprendre : en effet, tout d’abord, bien qu’excellent polar, rythmé, le film péchait par une fin assez convenue. De plus, depuis quelques jours, le nom d’Insensibles semblait revenir sur toutes les lèvres tant ce dernier a fait sensation. On aurait presque pu croire la compétition pliée d’avance tant dans les couloirs le film espagnol semblait remporter une belle majorité de suffrages. Une surprise donc, mais c’est aussi ça qui est bien !
Fait marrant, le Prix du Public, dont c’était cette année la première tentative, à également récompensé le film norvégien de Morgen Tyldem, qui rafle donc la mise pour l’ensemble des compétitions long-métrage.
Du côté de la compétition des courts métrages, le Grand Prix Canal + a été décerné à Bastagon, où la rencontre improbable entre deux être aux univers bien marqués qui vont s’aimer malgré les regards. Ou quand la fée clochette rencontre Cradle of Filth !
Le prix du public, toujours chez dans la compétition de courts métrages, à lui été attitré à deux ex-aequo : Drained, de Nick Peterson, et How we tried a new combinaison of light, de Alanté Kavaité.
Des films à retenir…
Chaque année, plusieurs films sortent incontestablement du lot. Comment ne pas revenir dessus ?
- Insensibles (critique ici) : bien qu’un peu froid au départ, le film de Juan Carlos Medina frappe un joli coup et prouve que le cinéma de genre espagnol continue d’être un vivier intéressant pour le cinéma de genre. Un film qui propose une approche différente de thèmes qui commencent à se répéter. On attend la suite du monsieur avec impatience.
- A fantastic fear of everything : Simon Pegg est un comédien de génie et porte à lui seul ce film totalement enlevé, barré, en campant un écrivain devenu paranoïaque qui va se confronter à sa plus grande peur : les lavomatiques ! Un exercice de style bourré d’humour et de quelques instants kitsch qui vaut assurément le détour !
- Antiviral : alors que Cronenberg père commence à ramollir, le fils se montre prêt à se lancer. Pour son premier film, il montre qu’un film lent n’est pas nécessairement un film chiant, et nous emmène dans une histoire comme seuls les Cronenberg savent en fournir. Société désabusée au consumérisme extrême, acting impeccable, ambiance pesante et froide : on est contaminé !
- Touristes : l’an dernier, Kill List avait été un coup de boule asséné par Ben Wheatley. Un film puissant, où la tension monte crescendo, et dont la fin nous laisse quoi. Cette année, Wheatley confirme qu’il faut compter avec lui désormais. Changeant de style pour un film noir et plein d’humour caustique, il suit le parcours d’un couple de touristes qui sur la route, sème plus de cadavres qu’il n’achète de souvenirs. Assurément, l’un des meilleurs films de ce festival. On vous en reparle en décembre, sur GentleGeek !
- Berberian Sound Studio : une expérience originale, un film autour d’un film, dont on ne verra jamais les images, dont on ne verra que l’élaboration de son ambiance sonore, mais c’est suffisant pour nous entraîner et nous happer dans son histoire unique et de plus en plus étrange au fur et à mesure que le tout avance. Ca fait du bien de s’y perdre ! Un film qui nous remémore que ça ne s’appelle pas à l’étrange festival pour rien !
- Dead Sushi : tiens donc, le voila de retour, Noboru Iguchi ! Présent l’an dernier à l’occasion de la nuit Sushi Typhoon, le japonais le plus barré de la terre revenait avec deux films cette année, dont ce Dead Sushi. Un film à la hauteur de sa réputation : fun, déjanté, WTF, drôle, épique, karateka, on a même droit à une scène de coppulation entre deux sushis ! Un moment über étrange donc !
- Citadel : oh le bel uppercut ! Sacré surprise ! A la lecture du synopsis, on serait presque tenté de se dire « encore un film d’horreur/social à l’anglaise ». Ce serait oublier que Ciaran Foy est Irlandais, et qu’il n’est pas la pour rigoler. Sans concessions, jusqu’au-boutiste, Citadel est une œuvre sombre où on ne respire jamais, et qui à aucun moment ne rationalise son propos, préférant laisser au spectateur le soin d’y construire son analyse. Un film où même le hors-champ vous secoue les tripes, un film qui tient son propos jusqu’au bout, peu importe le qu’en-dire-t-on. Le type de film au propos tellement désabusé, noir, qu’il ferait l’objet d’un débat post-projection si cela passait sur une télévision « soucieuse de devoir prendre du recul sur son discours de peur qu’il n’influence les gens d’une mauvaise manière ». Ciaran il s’en fout, il fonce, il met son vécu et sa rage dans ce film, et ça fait du bien !
- Zombie Ass : le seul film à sauver de la nuit zombie, mais quel film ! Dans la lignée du Dead Sushi, cet autre film de Noboru Iguchi pousse le délire encore plus loin, jusqu’à un combat final rempli de tentacules ! Une barre de WTF de la première à la dernière minute, il ne manquait que Nicolas Cage dans le film !
… et d’autres moins.
- Tout le reste de la nuit zombie (compte rendu ici) : l’exercice était périlleux, il est vrai. Néanmoins, entre des films sympa même si classiques ou déjà vus des dizaines de fois, ou des films chiants, il est dommage d’avoir eu droit à la seconde option.
- Comforting skin : on y revient plus tard.
- Dead Shadows : une avant-première, en présence de l’équipe du film, le film avait clairement été valorisé comme un événement. Pour autant, ce n’est pas par ce film que le cinéma de genre français décollera. En effet, outre l’impression que les comédiens « récitent » leurs dialogues, faussant toute impression de naturel la faute aux dialogues, le film avait d’abord été conçu comme un moyen métrage avant de devenir un long. Et ça se ressent au cours du film. Sur un propos minimaliste, le film s’il pêche par manque de réel intérêt dans son scénario, offre tout de même quelques passages sympa (la femme araignée !). Une série B, rien de plus.
- 11/25, the day Mishima chose his own fate : un Etrange Festival sans son Wakamatsu, c’est un peu comme un repas sans fromage ! Après le moite « Piscine sans eau » l’an dernier, nous avions droit cette année à son dernier long métrage consacré à l’écrivain Yukio Mishima et les raisons qui l’ont conduit à se faire Seppuku après avoir pris en otage un général du Ministère de la Défense. Sur ce postulat pourtant intéressant, Wakamatsu livre pourtant un film qui a du mal à maintenir l’intérêt du spectateur. Trop classique alors que tous les enjeux du film et son dénouement connus du public puisqu’il s’agit de faits réels, Wakamatsu opte pour un traitement trop linéaire et plus proche d’un sympatoche téléfilm à vocation documentaire. Reste l’honneur, suite au décès récent du cinéaste japonais, d’avoir vu sur grand écran ce qui restera son dernier film.
Des moments inoubliables :
En marge des films, ou parfois dans le film lui même, certains moments valent le coup d’être vécu. C’est aussi ça, un bon festival, une expérience collective qui laisse parfois des souvenirs impérissables. Comme :
- La carte blanche de Jan Kounen : le cinéaste français à proposé aux festivaliers l’une des expériences les plus hors-norme de la sélection, notamment avec la soirée diptyque Blood freak/Les 3 superman turcs aux jeux olympiques. Ou comment une salle s’anime tout à coup, spontanément, de spectateurs hilares et devenus fous qui communiquent entre eux en imitant les animaux de la ferme. Inoubliable, pure gold !
- La présentation de Dead Sushi : plutôt qu’un traditionnel discours, deux cinéastes venus présenter leur film à Paris ont décidé d’organiser… un concours de round kick ! C’est fait avec les moyens du bord, c’est improvisé, inspiré de la présentation de Iguchi himself lors d’un festival canadien, mais c’est très bon esprit et ça dénote !
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- Eega : le film Indien du festival, et quel film ! Un homme assassiné se réincarne en mouche pour protéger sa dulcinée ! Bien mené, original, fou, Eega vaut le coup d’œil ! Vous y repenserez à deux fois avant de vous frotter à la mauvaise mouche, motherckufer !
- Room 237 : what the hell was that ? Un documentaire qui aborde avec sérieux les différentes hypothèses émises sur le film Shining de Stanley Kubrick. Des hypothèses pour certaines… tirées par la moustache ! Un documentaire intéressant toutefois car il respecte les points de vus de ces différents théoriciens. A chacun d’adhérer ou non aux théories émises, d’y croire ou d’en rire.
On y était presque !
Quand plus de 80 films sont présentés, forcément, certains films, s’ils n’ont pas fait l’unanimité, méritent pourtant d’être salués ou qu’on s’intéresse à eux. Voici donc une petite sélection de films qu’il serait dommage d’écarter sans leur laisser une petite chance :
- Excision : en voila un qui fait débat. Creux, faussement trash pour certains, ce film a néanmoins gagné la sympathie de l’auteur de ces lignes, qui vous en parle donc à titre de coup de cœur personnel. Alors oui y’a des défauts dans ce film, soyons clair, mais pourtant, il y a un petit quelque chose qui fait qu’on s’y attache, notamment ce ton désabusé et laconique de la narration et de sa protagoniste principale, qui interprète brillamment cette ado pas comme les autres et couverte d’herpès. Et puis il y a Traci Lords aussi, très bonne (hum) dans son rôle de mère castratrice. Et cette fin, cette fin à la fois brève et qui en même temps en dit beaucoup…
- Redd Inc : quand un patron accusé de meurtre s’évade de l’asile et décide de faire travailler pour lui tous ceux qui ont contribuer à sa condamnation, ça donne Redd Inc, le film qui vous fera aimer votre patron ! Surtout qu’entre temps, monsieur Reddman il a légèrement perdu la boule, et semble très à cheval sur l’autorité. Un très bon huit clos, tendu, et porté par deux acteurs dont Nicholas Hope (aka Bad Boy Bubby). Dommage, ça part un peu en vrille à la fin, mais ça reste bien sympa et jouissif !
- God Bless America (critique ici) : ça commence bien pourtant. Mais en voulant dénoncer le cynisme de la société, Bobcat Goldthwait tombe dans le travers inverse et nous sert une œuvre qui se veut subversive mais ne l’est pas, enfonce des portes ouvertes et reste assez moralisatrice (c’est pas bien d’être méchant). Reste un divertissement sympathique, et un gros fuck à coup de shotgun.
On les garde dans un coin.
Malheureusement, un festival aussi dense implique de faire des choix, de se fier à son instinct. Parfois à tort, parfois à raison. A défaut de les avoir vu, et donc de vous donner notre avis, voici un petit florilège de films présentés qui, par les retours que nous en avons eu, ou tout simplement par l’attrait qu’ils présentent, se laisseraient bien regarder si l’occasion se présentait.
- Henge : quand un homme voit son corps se muter peu à peu, Cronenberg n’est pas loin. Il semblerait que ça en valait la peine !
- Road dogs : le documentaire qu’il fallait voir, apparement. Quand Shane Aquino suit le parcours de trois groupes de rock, le moins que l’on puisse dire c’est que ça déménage !
- Afterschool midnighters : un anime apparemment complètement barré, peut être celui qu’il fallait voir parmi les autres anime de la sélection. Et vous, vous en avez pensé quoi ?
- Résolution : plus le temps passe, plus certains de mes camarades de festival se demandent s’ils n’ont pas vu la un film apte à se dresser dans leur top 5 du festival. Un film qui devient de plus en plus étrange à mesure que le temps passe, et le nom de Lynch a souvent été évoqué dans les retours qui nous en ont été fait.
Le mal de crane du festival !
Il y en a toujours un. Et parce que, comme dirait notre Christophe Lambert national, « il ne peut en rester qu’un », c’est sur Comforting skin que notre choix se porte pour ce prix spécial mal de crâne.
Loin de moi l’idée de flinguer inutilement et gratuitement ce film, mais la déception est là quand on voit le potentiel du sujet sur le papier. Malheureusement, une actrice à la voix un peu nasillarde, un personnage qui joue tellement bien son rôle d’asocial qu’il finit par effectivement nous désintéresser de lui, un traitement très plat et en mode « voix intérieure » de sa narration, et SURTOUT, surtout une musique ultra bruyante et bruitiste qui réussit l’exploit de vous saouler au bout de 10 minutes mais qui laisse une migraine telle que trois tubes d’aspirine n’y ont pas suffit. En fin de soirée, avouez, ça fait mal…
Bilan : un festival haut en couleur !
Il est important en premier lieu de signaler l’excellente organisation de ce festival ! Chaque année, l’équipe d’organisateurs et de bénévoles met tout en œuvre pour que tout se passe dans les meilleures conditions, et y parvient 98% du temps. Les rares désagréments ne tardent jamais à être résolus, et c’est donc un grand bravo qu’il faut adresser à toutes les équipes, du Forum des Images comme de l’Etrange festival, pour l’excellent travail réalisé !
Outre l’organisation impeccable, les très bonnes conditions de projection (indépendamment de la qualité des copies, le Forum des Images reste un excellent lieu pour accueillir des événements cinématographiques), on souligne aussi la qualité des thématiques et rétrospectives qui entre les pépites de l’étrange, la théma Motorpsycho, la carte blanche à Kenneth Anger, ou encore les différents focus (dont le très b on consacré à Mathieu Seiler) ont offert de belles pellicules quasiment introuvables dans une très belle qualité la plupart du temps ! Des classiques du cinéma, des moins connus qui avaient disparus de la circulation : un pendant indispensable à l’avalanche de nouveautés qui permet aussi de se rappeler que le cinéma étrange, subversif, de genre, à une histoire; et une belle !
Ce festival a de quoi rendre fou ! Dans quel autre endroit en France peut on a la fois trouver les nazis réfugiés sur la lune, qui côtoient un Wakamatsu, des zombies-sushi voisins d’un Ulrich Seidl, des pellicules des années 30 qui côtoient les délires d’un Richard Bates ou l’univers étrange d’un Berberian Sound Studio, ou encore des polars venus du froid qui sans vergogne font face à un Val Kilmer en vélo ?
A l’heure où la plupart des festivals sont consacrés à un genre précis, hormis le festival de Cannes (mais trouverait-on vraiment certaines de ces pellicules la bas ?), alors que la plupart des festivals de cinéma de genre donnent en grande partie dans le cinéma d’horreur/épouvante/fantastique, l’Étrange festival explose toutes les frontières et joue la carte de l’éclectisme. Une formidable ouverture d’esprit qui permet de faire de nombreuses découvertes. « Never Surrender ! » a répété à plusieurs reprises Frédéric Temps, faisant de cette phrase la clé de voute de cette 18e édition, il annonçait clairement son intention de poursuivre cette démarche hautement qualitative et de continuer à bousculer les frontières quoi qu’il arrive.
Un éclectisme qui est donc une force pour ce festival, mais aussi sa (très légère) faiblesse : même si la qualité de la programmation a de quoi rendre dingue, on ne peut s’empêcher de se demander si le festival ne s’est pas quelque peu assagi, en témoigne l’obtention du prix par Headhunters, très bon film mais surtout film plus facilement « Canal + diffusable ». Non pas que cela soit une tare, au contraire, mais l’éclectisme conduit parfois à assister à certaines projections en se demandant s’il était vraiment utile de présenter tel ou tel film : Motorway, par exemple, film très bien fait et bien réalisé, restait quand même très très peu original, et a de grandes chances de figurer au cinéma d’ici quelques temps.
Mais quoi qu’il en soit, cette légère observation ne retire en rien le plaisir que nous avons eu à assister à ce formidable festival, l’un des meilleurs qui soit, et à se nourrir 11 jours durant des pellicules les plus diverses et variées, nous abreuver de purs moments de nawak ou de films à la beauté époustouflante.
Encore une très belle édition ! On attend avec impatience la prochaine édition !
Retrouvez l’intégralité des articles consacrés à l’Etrange festival 2012 :
Jour 1 : par ici (trouille)
Jour 2 : par ici (tron)
Jour 3 : par ici (seaux)
Nuit zombie : par ici (catrice)
Jour 4 : par ici (metière)
Jour 5 : par ici (rconsision)
Jour 6 : par ici (rconférence)
Jour 7 : par ici (tation)
Jour 8 : par ici (llabe)
Jour 9 : par ici (rconflexe)
Jour 10 : par ici (militude)
Jour 11 : par ici (ssi impératrice)
J’ai vraiment raté tous les bons films en fait, saloperie d’instinct (‘fin, saloperie de manque de temps plutôt, puis bon, j’ai pas à me plaindre, j’ai quand même vu des films plus ou moins intéressant que je n’aurai pas forcément vu autrement).
Très bon compte rendu qui donne bien envie d’aller dans ce genre de festival en tout cas. J’espère pouvoir mieux profiter du prochain.^^
Waho je ne connaissais pas ce festival! Le prochain j’y serai !!