Quoi quoi quoi ? Deuxième weekend de PIFFF ? Déja ? C’est que le temps passe vite au Gaumont Opéra Capucines ! Cela veut aussi dire que la clôture approche, snif… Alors pour ce deuxième samedi, les organisateurs ont mis le paquet, avec notamment l’un des événements les plus excitants pour tout cinéphile de genre…
Mais commençons par le début, puisqu’en ouverture de journée était projeté le dernier film en compétition : The Body, film espagnol de Oriol Paulo, avec en second rôle la toujours excellente Belen Rueda (L’orphelinat, les yeux de Julia).
Dès les premières minutes, The Body vous emporte. Convoqué par la police suite à la disparition du corps de sa femme, décédée le jour même, un homme se rend à la morgue. Très vite, le lieu deviendra le théâtre d’événements étranges…
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Bien qu’il s’agisse d’un premier film, Oriol Paulo n’est pas étranger au cinéma de genre espagnol, puisqu’il est le scénariste du fortement sympathique et réussi Les yeux de Julia. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on sent que l’on a bel et bien à faire à un film réalisé par un scénariste de métier, tant le film vous attrape par le col dès le début pour vous emporter dans un crescendo tourbillonnant qui ne vous laissera respirer qu’à la fin. Il en ressort un film limpide, maitrisé, instaurant progressivement son ambiance, où tout reste cohérent, oscillant sens cesse entre thriller et fantastique pour ne finalement retenir qu’une explication certes logique mais qu’on ne verra jamais venir avant sa révélation. En résumé : une réussite totale ! Et encore un grand coup pour le cinéma espagnol, qui décidément a la baraka depuis quelques années. Ni en Indonésie, ni en Amérique du Sud, le ciné de genre vivant est bien là.
Mais l’événement du festival, ce qui allait frapper un grand coup dans les chaumières, était sans contestation la nuit Clive Barker, qui succèdera ainsi à la compétition de courts métrages français.
La nuit avait de quoi être prometteuse : en effet, le PIFFF, pour cette programmation, a su alterner la vision de classiques du maître de la littérature horrifique, mais aussi de belles exclusivités. Arme fatale pour attirer le cinéphage insomniaque : la projection du mythique Cabal, film maudit de Clive Barker, dont les démêlés avec le studio quant au montage affecteront l’envie du réalisateur de faire du cinéma, chose à laquelle il renoncera complètement après avoir tourné Le maître des illusions.
La version de Cabal en Director’s cut, c’était un peu une arlésienne… Peu satisfait de la version proposée par Clive Barker de son propre livre, le studio décide de couper certaines scènes, notamment pour offrir une vision plus dichotomique de l’histoire : exit les monstres pour lesquels on peut prendre parti, vive les monstres méchants et les coupables bien identifiés. Le film sortira donc sous le nom de Nightbreed, mais n’est pas réellement le film que Barker a tourné.
Après des années de demandes infructueuses auprès des producteurs de récupérer les bobines, une copie intégrale est finalement retrouvée… chez Clive Barker himself (!) occasionnant ainsi un remontage et une restauration par une poignée de fans, dirigée par Russel Cherrington. Venu lui même présenter le film en compagnie de Nicholas Burnam-Vince, l’un des acteurs du film (qui incarne également un Cénobite de Hellraiser), le message était clair : « Ce soir, vous n’allez pas voir Nightbreed, vous allez voir Cabal ! »
L’histoire de la restauration du film est ainsi racontée, passionnément, par un passionné, expliquant comment, plusieurs années durant, il a du visionner l’ensemble des bobines à sa disposition pour reproduire le plus fidèlement possible l’œuvre originale de Barker. Prenant ainsi des bouts du Nightbreed, rajoutant des extraits manquants, réutilisant la bande son de Danny Elfman, remontant le tout pour aboutir, enfin, à un résultat fidèle au livre que l’homme enverra à Clive Barker.
Ce dernier, ému de voir son ouvrage aussi fidèlement retranscrit selon sa volonté initiale, ne demandera que 4 corrections minimes à Cherrington avant d’approuver la version du film.
Alors bien sur, tout le film ne bénéficie pas d’une qualité d’image remarquable. En effet, retravailler de vieilles VHS près de 20 ans après leur sortie ne peut permettre un résultat optimal. De même, le studio refuse encore et toujours l’accès aux originaux ou aux négatifs. Ainsi, pour reprendre les termes de Russel Cherrington himself, certains passages du film « ressemblent à de vieilles VHS porno des années 70 ». Néanmoins, le directeur de la restauration de Cabal précisera qu’ils envisage d’autres méthodes de restauration (cuisson des bobines, par exemple) afin d’obtenir une meilleure qualité d’image, mais n’a pas encore réussi à récolter les fonds nécessaires.
Bien que relativement abouti dans son montage, Cabal reste donc un « work in progress » qui pourrait bien à nouveau changer dans les années à venir (scènes supplémentaires, amélioration de l’image, bande son originale complète de Danny Elfman, avec qui ils sont en contact, etc.). Aussi, si la qualité d’image fut parfois désagréable, il serait injuste de pinailler tant l’exclusivité proposée ce soir est de taille.
Et le film en lui même ? Cabal est tout simplement magique ! Dévoilant un bestiaire fantastique dense, Cabal est avant tout une histoire d’amour. L’amour d’un auteur pour cet univers fantastique et ses créatures qu’il affectionne tant, au point d’en faire des victimes de la bêtise humaine. L’amour également, indéfectible, entre Boone et sa compagne, qui même après la mort continuera de croire en cet homme qui a trouvé auprès d’elle une rédemption.
Car Boone est un homme torturé. Schizophrène, nous dit-on. Un homme en proie à de violents cauchemars, et de parfois violentes pulsions, ayant sombré dans la drogue, pour finalement s’en sortir, soutenu par une chanteuse de jazz avec qui il vit une histoire. Rappelé plusieurs mois après sa guérison par son psychiatre (interprété par David Cronenberg), il apprend qu’il pourrait être l’auteur d’une série de meurtres dont le mode opératoire correspond à ses cauchemars sordides. Boone se réfugie alors à Midian, cité où les monstres vivent reclus entre eux…
Dès son générique introductif, Barker dévoile une partie du foisonnant bestiaire imaginé par l’auteur. La légende veut que près de 200 créatures soient exposées dans la version intégrale du film. D’abord menaçantes, on en vient à prendre fait et cause pour elles, même si certaines d’entre elles demeurent ambigües.
Et c’est la l’origine de tous les points d’accroche entre le studio et le réalisateur. Ne souhaitant pas voir des monstres être présentés comme « gentils » ou « victimes », les producteurs souhaitent ainsi réaliser des coupes dans le film afin de changer cet aspect. De même, le meurtrier réel, présenté comme malade, ne donnera pas satisfaction et incitera le studio à couper une scène clé (présente dans ce montage) afin d’en faire un tueur de sang froid et réfléchi. Exit donc, la communauté qui se défend contre la menace de destruction par une espèce humaine plus monstrueuse qu’il n’y parait, pour ne garder que les bêtes de foire.
Toute l’ambigüité de l’œuvre originale se retrouve ici rétablie dans un film foisonnant, porteur de valeurs qui si elles gênaient à l’époque, sont aujourd’hui l’apanage de grands blockbusters. Lors de questions-réponses suite au film, un spectateur fera ainsi justement remarqué que l’attitude du studio – qui refuse l’accès aux bobines en prétextant que personne ne voudrait voir un tel film – est absurde de nos jours car substantiellement, l’histoire et le message de Cabal sont ceux véhiculés dans Avatar (le coté nian nian en moins dans Cabal, merci !). Et l’analogie entre les deux messages est loin d’être idiote.
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Après cette séance coup de poing, les spectateurs ont pu assister à la projection d’une autre rareté, à savoir le court métrage de Clive Barker The Forbidden, expérience sensorielle et mystique, au propos obscur et peu accessible, qui envoutera la salle pendant une demi-heure.
Il est minuit, et on se dit qu’on est déjà bien gâté. Et pourtant, la soirée est loin d’être terminée ! Car qui dit Clive Barker dit… HELLRAISER ! C’était bien le film à ne pas oublier ! Le classique de Barker, qui même s’il a manqué de moyens pour réaliser réellement ce qu’il avait en tête, a su trouver tous les ressorts pour livrer une histoire forte et marquante. Cerise sur le gâteau, Julien Maury et Pascal Laugier sont venus témoigner de leurs expériences respectives, ayant chacun été rattachés au projet de remake d’Hellraiser un temps souhaité par les frères Weinstein. Et le constat est sans appel : certaines révélations, presque aberrantes tant l’irrespect dont font preuve les producteurs américains, provoqueront l’hilarité de la salle, le témoignage tournant vite au taillage de costard pour les Weinstein.
Julien Maury racontera ainsi cette anecdote où, reçu avec son compère Alexandre Bustillo par l’un des frères Weinstein, se retrouvent en conférence téléphonique avec Clive Barker. Mais lorsque vient le tour de l’auteur de prendre la parole, Weinstein aurait alors tout simplement coupé le haut parleur, reprenant sa discussion avec les deux réalisateurs, médusés par l’attitude du producteur. Relatant cette scène lors de leur rencontre avec l’homme aux Livres de Sang, Barker leur confiera que la seule raison pour laquelle les frères Weinstein daignent le maintenir dans la boucle est de pouvoir afficher, en début de film, la mention « Clive Barker présente ».
Pascal Laugier abondera ensuite dans le même sens. Ayant écrit une relecture d’Hellraiser assez axé sur le SM et les connotations homosexuelles contenues dans le livre original, il se verra opposé une fin de non-recevoir, Weinstein lui indiquant clairement qu’aujourd’hui, la cible des films d’horreur étant les ados, il fallait que le héros soit un adolescent, et vive l’ensemble des clichés et histoires pleines de raccourcis dont nous abreuve le cinéma d’horreur depuis quelques années (réinterprétation hasardeuse des propos par l’auteur de ces lignes, ndlr). Des propos qui, sans le savoir, annonceront avec un peu d’avance le piteux Silent Hill Révélation auquel nous assisterons le lendemain :D
Autre anecdote de l’aventure du réalisateur de Martyrs sur Hellraiser : révéillé en pleine nuit (décalage horaire) par le producteur, Pascal Laugier entend alors Weinstein lui parler d’une « idée brillante qu’il aurait eu » et commence à parler de Springbreak, de fête sur la plage, etc. Interloqué, Pascal Laugier lui répond qu’il l’a confondu avec Alexandre Aja, pour Piranha 3D, ce à quoi le producteur aurait répondu : « Et alors ? T’es français, c’est pareil ! ».
Bref, un moment croustillant ou indignation et franche rigolade se mêlent, avant d’attaquer les choses sérieuses avec la projection du film original. Et le remake ? Ah oui, finalement, le remake ne s’est pas fait, et est devenu un basique Hellraiser 9 fabriqué vite fait et balancé en DTV. Pourquoi donc ? Les Weinstein avaient tout simplement l’obligation de sortir un film Hellraiser tous les 5 ans s’ils veulent rester en possession de la licence…
Mais concentrons nous sur cette œuvre brute qu’est Hellraiser. La encore, derrière l’horreur se cache en réalité un amour inconditionnel. Celui, adultère, né entre Julia et Franck, le frère de son mari, décédé après avoir pris possession d’une mystérieuse boite diabolique. Mais Julia découvre une façon de ramener Franck dans ce monde…
Eloge de la chair, mélange de plaisir et de douleur, Hellraiser est une œuvre phare. Une de celles dont l’ambiance, si le poids des années peut se ressentir, continue pourtant de vous happer sans que cela ne pose question. Et que dire des apparitions, restreintes mais très efficaces, des fameux Cénobites, le mythique Pinhead en tête, qui ont marqué des générations de spectateurs fantasticophiles. Bref, un réel plaisir que de (re)découvrir l’œuvre de Barker cinéaste sur grand écran et en VO.
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Hellraiser 2 prendra ensuite le relais. Suite directe du premier épisode, cette séquelle se veut beaucoup plus baroque, théâtrale que le premier opus. Prenant cette fois comme héroïne Kirsty, nièce de Franck ayant combattu son oncle et surtout sa belle-mère Julia dans le premier opus. Retrouvant sa Némesis en pénétrant dans l’univers des Cénobites, Julia vivra ainsi un véritable parcours initiatique afin d’exorciser ses peurs et renouer avec la vie. Moins abouti scénaristiquement que le premier opus, abandonnant la dimension intime et sombre pour donner la part belle aux effets visuels et aux apparitions de créatures fantastiques, prototype d’une suite bigger, louder, younger (plus de monstres, plus de scènes de violence, une héroïne adolescente, tiens tiens :D) Hellraiser 2 se laisse suivre néanmoins sans déplaisir.
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Pour conclure cette soirée, et plutôt que de choisir l’une des adaptions récentes de Barker en film (Midnight Meat Train, Dread, Book of Blood), les programmateurs de la nuit ont choisi de proposer l’une de ses adaptations les plus mélancoliques, les plus réussies, mais qui n’est pas l’une des plus diffusées de l’auteur.
En effet, le festival a ainsi eu la bonne idée de porter son choix sur Candyman, réalisé par Bernard Rose. Le pitch initial laisse croire à un slasher basique : une femme réalise une thèse sur les légendes urbaines, et découvre l’existence du Candyman, qui avec son crochet assassine ceux qui prononcent son nom 5 fois devant le miroir.
Mais loin de s’arrêter à cette accroche basique, le film prend rapidement une toute autre tournure, puisque la encore, le fantastique n’est qu’une porte d’entrée vers un tout autre niveau de réflexion. Évoquant les peurs et travers d’une société meurtrie par la violence, le racisme, la peur de l’abandon ou le sentiment de l’avoir été (tant chez notre héroïne que dans la communauté qu’elle étudie), Bernard Rose érige avec maestria une histoire forte, pleine de sens, de mélancolie, et de tourments. Plutôt que la réponse facile, Bernard Rose ne donnera pas d’explications, mais plutôt des pistes de réflexion. Tout est-il réel ou bien fantasmé par l’héroïne ? A chacun d’y voir son interprétation.
La musique de Philip Glass donne de plus au film un cachet particulier. Les intentions du compositeurs et du réalisateur n’étaient pas du tout les mêmes, comme l’expliquait plus tôt Fausto Fasulo. Pour autant le mélange prend indéniablement et donne à Candyman cette ambiance si particulière qui, en plus de son fond, en fait l’une des meilleures adaptations de Barker au cinéma.
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Il est 7h, le lendemain matin quand la nuit se termine enfin. Ou plutôt que le jour se lève à nouveau. La nuit zombie de l’Etrange festival avait eu presque tout faux, cette nuit Clive Barker est une réussite incontestable. Bravo le PIFFF ! Merci Clive.
Pour tout renseignement sur la suite du projet Nightbreed : The Cabal Cut, rendez-vous sur www.occupymidian.com !
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