Quantic Dream est un studio connu pour son approche différente du jeu vidéo, mettant l’accent sur l’émotion et l’histoire, plus que sur le gameplay. Heavy Rain avait poussé le concept assez loin, et c’est maintenant au tour de Beyond : Two Souls, avec ses motion captures d’Ellen Page et de Willem Dafoe, de nous offrir une nouvelle expérience.
[styled_box title= »Synopsis » class= » »]Jodie (Ellen Page) est, depuis sa naissance, liée à une entité, Aiden. Personne ne sait pourquoi ni comment ils se sont retrouvés ensemble, ni même ce qu’est exactement Aiden. Toujours est-il que Jodie est obligée de vivre avec, ce qui n’est pas toujours évident, Aiden ayant son caractère.
D’expérimentations en découvertes, de rencontres en trahisons, Beyond : Two Souls nous invite à suivre les vies de Jodie et d’Aiden sur quinze ans.[/styled_box]
Avant toute chose, il est évident que ce jeu s’adresse à un public averti : si vous n’avez pas aimé le principe d’Heavy Rain, parce que BON, une QTE de douche, vous n’en voyez guère l’intérêt, il est à peu près sûr que Beyond vous laissera de marbre, puisqu’il s’éloigne tout autant du schéma « classique » du jeu vidéo. Le gameplay est ici secondaire, et n’est qu’un moyen de faire entrer le joueur-spectateur dans l’histoire de façon plus profonde que devant un film.
Ces bases étant posées, quel gameplay vous attend dans Beyond ?
Le principe est similaire à celui déjà en place dans Heavy Rain : une histoire qui se déroule de façon plus ou moins linéaire, et vous invite à interagir par le biais de QTE.
Dans Beyond, le joueur-spectateur dirige deux personnages, Jodie et Aiden. Chacun d’entre eux possède ses propres capacités, et il faudra alterner entre les deux pour avancer dans l’histoire. Rassurez-vous cependant, il est assez évident de comprendre quel personnage il vous faut employer.
Lorsque vous dirigez Jodie, et que vous explorez (enfin, »explorez ») l’environnement, un point blanc vous indique les objets avec lesquels vous pouvez interagir : portes,véhicules, personnages, etc. Ensuite, selon la nature de l’objet, soit il vous suffira de bouger le joystick, soit un QTE classique s’affichera à l’écran. Bien sûr, le jeu est également peuplé de QTE qui se déclenchent sans que Jodie n’ait touché un objet au préalable : spammer X pour sprinter, appuyer simultanément sur L1 et R1 pour se hisser, etc. Enfin, Jodie peut également se battre, et il faudra alors jouer du joystick, en suivant les mouvements de son corps. Concrètement, lorsque l’action s’accélère et que Jodie doit réagir, on passe au ralenti, et le joueur dispose alors de quelques secondes pour envoyer l’héroïne dans la bonne direction, sans indication à l’écran, ce qui rend l’action plus naturelle, et donc, a priori, plus immersive.
Enfin, tout comme dans Heavy Rain, lorsque vous parlez à quelqu’un, les réponses possibles flottent près de la tête de l’héroïne. A vous de faire votre choix.
Aiden de son côté peut également explorer les environs, à condition toutefois de ne pas trop s’éloigner de Jodie. Des points bleus indiquent alors les objets avec lesquels il peut interagir, et les personnages se parent d’auras vous indiquant ce qu’il est possible de faire avec eux : une aura bleue indique que rien n’est possible, une aura orange que vous pouvez posséder la personne, une aura rouge que vous pouvez l’étouffer (oui, Aiden est un petit sanguin).
Ce gameplay peut être un peu trompeur : vu que le joueur dirige Jodie et Aiden, et qu’ils ne sont jamais séparés par plus de vingt mètres, on peut avoir tendance, au début, à penser que Jodie contrôle Aiden, alors qu’il n’en est rien, et que ce dernier peut se comporter comme une vraie petite pourriture… A condition que le joueur le fasse se comporter comme tel, faisant fi des demandes de Jodie qu’il contrôlait trois secondes plus tôt… Il faut donc passer un accord (avec soi-même, c’pas simple) sur le comportement d’Aiden. Ou être complètement schizophrène.
Ou encore jouer en mode deux joueurs en local, chacun contrôlant un des personnages.
Alors, plus simple comme gameplay, on meurt. Et pourtant… Et pourtant, ça ne fonctionne pas toujours. On ne parle pas ici du principe même des QTE, on sait à quoi s’attendre depuis Heavy Rain, mais bien des QTE en eux-mêmes. En effet, certaines de ces actions ne sont pas indiquées à l’écran, et c’est au joueur de trouver la bonne direction à impulser à Jodie. Et, en théorie, c’était plutôt une bonne idée.
Le problème, c’est que le corps de Jodie n’est pas forcément très lisible : en combat, on ne sait pas toujours si elle va esquiver, contrer, ou coller une droite. Et comme on a pas cent ans et trois dimanches pour réagir, il est aisé de se tromper. Et scruter son écran comme une brute pendant deux secondes pour appuyer sur le fil, ça brise un peu l’immersion. De plus, certaines scènes d’action se passent de nuit, et on peut dire que l’équipe créative n’a pas lésiné sur les effets de noir. Parce que le nouar, c’est stressant. Soit. Mais quand on se bat dans le noir, ben… On y voit moins bien. Et c’est d’autant plus dur de deviner ce que fait Jodie.
Cet abus de ténèbres fait par ailleurs partie des défauts du jeu, et rend pénible quelques chapitres, dans lesquels vous avancez lourdement, tout simplement parce que vous n’y voyez rien. Alors oui, effectivement, une scène qui se déroule dans l’obscurité, surtout quand vous incarnez une Jodie enfant, ça joue sur les peurs primaires, et ça renforce le côté un peu angoissant de la situation du personnage. Mais il y a un juste milieu à trouver entre lisibilité et émotion.
La jouabilité, ou, du moins, l’interactivité, est également gâchée par des problèmes de caméra. C’est un parti pris de la mise en scène du jeu que de nous laisser peu de liberté avec la caméra : elle est très limitée dans ses déplacements, et ne permet donc pas tellement d’observer les alentours, ce qui n’est pas forcément gênant.
Ce qui l’est un peu plus en revanche, c’est qu’elle est assez peu réactive, rendant les déplacements dans les lieux exigus franchement laborieux : vous avez l’impression de manœuvrer un semi-remorque (alors que bon, Ellen Page quoi…) pour JUSTE franchir une porte. Parce que la caméra est restée dans le couloir, alors que vous êtes déjà dans la cuisine. Et alors que vous peinez avec un angle de vue pas vraiment propice, d’un coup, BIM, la caméra saute au bon endroit, et vous ne savez plus où vous êtes.
Heureusement, ces problèmes ont tendance à s’estomper un peu lors d’une seconde (ou troisième) partie, mais ils n’en demeurent pas moins agaçants, à défaut (et non Dafoe) d’être rédhibitoires.
Enfin, si le jeu est plutôt joli, on a quand même droit à quelques ombres pixelisées, des murs invisibles, quelques freezes et chutes de framerate, mais ça reste assez anecdotique, le plus important, à savoir l’expressivité des visages des différents protagonistes, étant tout-à-fait satisfaisante. Le motion capture est une vraie réussite, permettant aux acteurs de vraiment faire exister les personnages.
Et puisqu’on arrive aux personnages, parlons donc un peu de l’histoire. Après tout, le gameplay n’est pas ce pour quoi on achète un jeu de Quantic Dream.
Dès le prologue, Jodie (Ellen Page), nous prévient que sa mémoire disparaît, et qu’elle va tenter de se souvenir un peu comme ça lui vient. Du coup, la narration fait sans cesse des bonds dans le temps, tout au long de la vie de Jodie à partir de ses neuf ans.
Le joueur est donc un peu perdu, puisqu’il lui faut sans cesse, au début de chaque chapitre, se souvenir de ce qui s’est passé avant, chronologiquement. Ça ne demande pas non plus un énorme effort, et ça permet surtout de refléter le trouble du personnage, car, finalement, Jodie n’est jamais tellement maîtresse de sa destinée, quelle que soit l’époque dans laquelle on se trouve.
Après, ne nous mentons pas, l’histoire n’est pas transcendante d’originalité, mais repose sur le jeu d’Ellen Page. Et il faut avouer que les deux premiers tiers du jeu (ou les trois premiers quarts), ça fonctionne très bien : on a cette espèce de drame fantastico-intimiste, où l’on suit Jodie, et on s’y attache, à elle, à Aiden, à leur duo improbable, malgré tous les motifs du genre dont aucun ne nous est épargné. On croise tout de même des personnages qui, à défaut d’être attachants, car on ne les croise pas assez longtemps, sont au minimum touchants.
Puis, après une escale fantastico-chamanique, qui en laissera plus d’un dubitatif, le jeu se met à enfiler les clichés plus vite que des perles, avec l’aide d’un personnage qui a l’air d’avoir été écrit uniquement pour être détesté. Et si les courts chapitres « tranches de vie » sont toujours aussi efficaces, les chapitres « action » gâchent un peu l’ensemble, jusqu’à l’ultime partie qui nous sert un double rebondissement éculé au possible, d’autant plus ridicule que ce n’était pas franchement nécessaire, et d’autant plus rageant que le temps passé à faire de l’action aurait pu l’être à rendre ce final, si ce n’est moins cliché, au moins plus crédible, en le construisant un peu plus en amont, et en étoffant les personnages secondaires.
Sans compter que si certaines de nos actions ont effectivement des conséquences immédiates, peu ont une résonance à long terme, et le jeu se paie même le luxe de nous troller un brin, lorsqu’il nous permet à quatre reprises de refuser quelque chose, pour mieux nous le forcer en travers de la gorge un peu plus tard.
Nonobstant (j’ai toujours rêvé de placer ce mot dans une critique) ces divers points qui peuvent être rédhibitoires, l’expérience Beyond: Two Souls a cela de fascinant qu’elle laisse pensif – et ce n’est pas un gros mot -. Cela veut tout simplement dire qu’il est très difficile de mettre un point catégorique sur les sentiments que l’on éprouve à l’issue de ce jeu, ou plutôt de cette expérience hybride entre le cinéma et le jeu vidéo – parce qu’on les voit, les détracteurs qui attendent patiemment chaque mention de « jeu vidéo » dans l’article, avec des cageots entiers de tomates pourries -. C’est une expérience qui se décante et se réfléchit. Doit-on le détester, l’adorer, le trouver décevant, trop long, magistral ? Si chacun voit midi à sa porte, il n’en reste pas moins que le nouveau bébé de Quantic Dream est calibré pour être une expérience plus cinématographique que vidéoludique : le jeu des acteurs est juste et émouvant, les personnages principaux sont relativement attachants, mais c’est surtout l’histoire intime de Jodie qui a quelque chose de bouleversant – de ma carrière, seuls deux jeux m’ont émue aux larmes, Mass Effect et Beyond: Two Souls. -, la musique est grandiose, et, un peu comme un film lynchéen, il est jouissif de voir les pièces du puzzle se mettre en place. Mais à l’instar d’un film lynchéen, en dehors du gameplay, de la caméra, de l’obscurité et de certains clichés, la narration éclatée peut être l’un des premiers facteurs pour lesquels vous n’accrocherez pas au jeu : il faut accepter de subir cette narration et attendre les indices qui arrivent au compte-goutte jusqu’à la précipitation finale, puis de changer de « genre ». Au final, si on prend ce jeu comme un très long film d’une dizaine d’heures, le pari est réussi.
Sauf qu’évidemment, quand on a la manette, il est parfois difficile d’être attentif à tous les détails et de saisir toute la richesse de ce jeu, en termes de jeu, de répliques et d’anecdotes qui se passent autour de Jodie et Aiden. C’est là où l’intérêt de jouer en coopération prend tout son sens : pour la rejouabilité – qui est finalement importante pour chasser les incertitudes – et pour un des ressorts scénaristiques importants : Jodie n’est pas fondamentalement une mauvaise personne et vous serez donc toujours prisonniers de cet aspect – n’en déplaise aux joueurs sanguinaires ! -. Toute plaisanterie mise à part, il y a certains de vos choix qui vous amèneront dans des situations parfaitement dégueulasses et injustes. Et c’est à ce moment là qu’Aiden pourra surgir et exercer son esprit vengeur en toute liberté. Le panel d’interactions et surtout de choix – laisser couler, rétablir la justice, péter les plombs et tuer tout le monde – vous permettent de donner un point final et réellement faire ressortir votre personnalité. Si on peut avoir l’impression que c’est de la pure schizophrénie quand on est seul aux commandes, cela devient véritablement jouissif à deux.
Pour jouer à deux, deux solutions : soit avec une deuxième manette, soit avec l’application connectée Beyond Touch, qui permet de transformer votre Smartphone ou tablette en manette. Quelques mots sur la bête : la tester rend tout problème de caméra avec la manette absolument minime, tant la prise en main est laborieuse et pas du tout instinctive : cette application est vraiment réservée à ceux qui jouent souvent sur mobile. Elle ne représente pas tant d’intérêt, puisque vous pourrez juste voir un making of disponible depuis un moment sur YouTube, et accéder à quelques bande-annonces. Rien de bien excitant, même pour les fans invétérés.
Au-delà de cet aspect technique, l’intérêt est donc dans la « coopération » – ou non-coopération d’ailleurs – pour faire le jeu : Aiden possède sa personnalité propre et c’est d’autant plus vrai quand un ami l’incarne. Et on y voit donc toute la portée de l’appropriation de l’aventure, qui va au-delà du panel des 4 choix : on devient Jodie, qui subit la présence d’Aiden, et vice-versa. Imaginez un instant que vous avez trèèèèès envie de couch… euh… de faire l’amour avec un jeune homme, parce que vous avez envie d’être une jeune femme normale, et que d’un seul coup, un esprit vient se taper l’incruste et renverse les meubles, refroidissant les ardeurs de ce même jeune homme. Frustration, fou rire, rage ? Voilà, à la manière de l’appropriation qui avait secoué la salle du Grand Rex lors de l’avant-première, Beyond: Two Souls prend tout son sens dans l’expérience à deux et est fait pour qu’on soit spectateur. Quand bien même le jeu souffre de certaines longueurs, et qu’il n’y ait fondamentalement pas de challenge supplémentaire à jouer à deux, pouvoir échanger, rager, ou voir l’hésitation, la quasi torture morale face à certains choix, de son double, permet d’aller au-delà d’une simple expérience de jeu vidéo ou de cinéma. La catharsis est d’autant plus grande que l’émotion est là et que le « pouvoir » que l’on a, surtout en incarnant Aiden, peut être terrifiant. Et pour peu que vous ayez un compagnon empathique, l’évolution de la relation entre Aiden et Jodie sera beaucoup plus prenante.
Tout comme Heavy Rain, Beyond : Two Souls, malgré son gameplay (ou son interactivité, pour ceux qui saignent en parlant de gameplay pour des QTE) perfectible, et son histoire pas toujours finement amenée, n’en demeure pas moins une expérience agréable, en terme de ressenti : on rit parfois (même s’il n’est pas dit que ce soit forcément voulu par le jeu), on larmouille, on s’attache.
Après, selon votre capacité à passer outre les clichés et les boulets, vous sortirez ravis de l’expérience, ou bien avec un arrière-goût de rendez-vous manqué.
Article réalisé à quatre mains et au moins autant d’esprits par la team GentleGeek
Ca fait plaisir de voir une reference a Mass effect qui sait aussi avoir des passages emouvants et m’a plu dans sa narration.^^ Je me laisserais peu etre tenté en promo.