Quand Martoni ne bluffe pas, c’est David O. Russel qui prends le relais ! Et American Bluff, qui sort mercredi en salle, est l’un des favoris aux oscars aux côtés de Gravity après avoir déjà remporté trois Golden Globes. Déjà auréolé du succès de ses deux précédents films, ce nouveau long métrage ne risque pas de mettre une balle dans le genou du réalisateur, vu le buzz favorable qui le précède. Coup de poker ou arnaque ? On vous dit tout sur ce nouveau long-métrage très attendu. Comment ça vous ne voyez pas le rapport ?
Après Happiness Therapy, affreux titre français de Silver Linings Playbook, une rom-com plutôt sympathique même si sa seconde partie avançait sur un terrain bien plus convenu, David O. Russel n’a pas vu les choses en petit pour son nouveau long-métrage !
Pour porter à l’écran cette histoire inspirée de l’affaire Abscam, où un couple d’escrocs, coincé par un agent du FBI, se retrouve contraint d’aider ce dernier à piéger des hommes politiques corrompus, le réalisateur américain a réuni la crème de ses deux derniers films : Christian Bale et Amy Adams (The Fighter) rempilent aux côtés de Bradley Cooper et Jennifer Lawrence (Happiness Therapy), tandis que Jeremy Renner rejoint la bande. Un casting 5 étoile donc pour donner vie à cette histoire où les influences de Scorsese et de Cassavettes se font clairement sentir.
[quote_right]une galerie de personnages blessés qui luttent pour échapper à leur condition[/quote_right]Voix-off pour présenter le personnage principal, qui raconte lui-même son histoire, son enfance d’abord, ses magouilles ensuite, mais aussi sa rencontre avec sa bien-aimée : la manière dont cette narration est amenée, en finesse, en détail, et dotée pourtant d’un certain classicisme n’est pas sans rappeler Les Affranchis et emporte immédiatement le spectateur. Pour autant, l’influence présente ne s’avère pas pour autant envahissante, et l’analogie s’arrêterait presque la : O. Russel ne s’intéresse pas à des bandits en costar braqueurs de banque, mais ici plutôt à des escrocs à la petite semaine ayant réussi à monter des combines florissantes, suffisamment en tout cas pour intéresser le FBI.
Et le réalisateur ne manque pas d’y ajouter une touche déjà présente dans ses deux derniers métrages : plus que le film d’arnaque, ce qui intéresse avant tout le réalisateur, c’est de mettre en scène une galerie de personnages blessés qui luttent pour échapper à leur condition, et qui se retrouvent happés par leurs propres faux-semblants.
Dis-moi comment tu te coiffes, je te dirais qui tu es
[quote_left]une introduction très capillaire qui rendrait ivre de jalousie Nicolas Cage[/quote_left]Une chambre d’hôtel, un homme qui se recoiffe. Avant même la réelle ouverture du film, le réalisateur annonce cette intention avec cette introduction très « capillaire » qui rendrait ivre de jalousie Nicolas Cage. Mais plus qu’une introduction, cette scène se veut également être une scène clé du film, extrêmement significative quant au sous-texte de l’histoire. Un peu comme si toute cette partie polar n’était présente, au final, que pour tisser la toile des relations qui vont unir et désunir les protagonistes du film.
Nous suivons ainsi les trajectoires d’Irving Rosenfeld (Christian Bale), et Sydney Prosser (Amy Adams), notre couple d’escrocs, qui va bientôt se retrouver coincé par Richie DiMaso (Bradley Cooper), agent du FBI opportuniste et ambitieux, mais un peu trop pressé. Chacun, à leur manière, tente de survivre dans ce monde auquel ils ne se sentent pas appartenir, dans lequel ils considèrent avoir été lésés au départ et se battent pour survivre et transcender leur condition. Cela passe ainsi par des artifices personnels, utilisés pour apparaitre au monde sous une nouvelle façade : la postiche de Christian Bale, la coupe de cheveux (hautement improbable) de Bradley Cooper, ou l’accent utilisé par Amy Adams, pour ne citer que cela. Mais c’est sans compter sur la relation que vont nouer Rosenfeld et Carmine Polito, l’homme politique qu’ils essaient de piéger, ainsi que sur l’apparition de Rosalyn, la femme légitime de Rosenfeld…
[quote_right]David O. Russell montre qu’il est l’un des meilleurs directeurs d’acteurs actuels[/quote_right]Inutile de dire que dans un tel cas de figure, la composition des acteurs est essentielle pour que la machine fonctionne. Et c’est là que David O. Russell montre qu’il est l’un des meilleurs directeurs d’acteurs actuels, et sait de plus s’entourer. A l’instar de l’ensemble de ses films, le casting y est impeccable. Christian Bale, en arnaqueur bedonnant et en pleine, évite le surjeu et compose au contraire un personnage sobre, attachant, et profondément humain, qui a conscience de ce qu’il est. Bradley Cooper, malgré une coupe de cheveux à laquelle il faudra vraiment s’habituer, campe avec justesse cet agent du FBI arriviste, grande gueule, et fatigué de jouer les « gagne petit ». Rien à redire du côté de Jeremy Renner, peut être le plus effacé de tous, et aussi Jennifer Lawrence, qui malgré son visage de teenager reste crédible en femme au foyer névrosée et délaissée. Mais la vraie révélation du film n’est autre qu’Amy Adams, dont la prestation magistrale, nuancée, fragile et également ultra sensuelle (qui pour le coup, en remontre à Jennifer Lawrence, désolé…) montre bien que ce Golden Globe n’était pas volé. Du côté des seconds rôles, soulignons également la très bonne prestation de Louis CK, connu surtout pour des partitions humoristiques, mais ici étonnement crédible en agent du FBI strict et austère, qui apportera malgré tout quelques contrepoids amusants.
La grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf
[quote_left]tenues immondes, coupes de cheveux improbables, appartement au papier peint vert kaki : tout l’esprit 70’s est la ![/quote_left]Mais un casting brillant suffit-il pour autant à faire un bon film ? Car si David O. Russell a montré qu’il savait tirer le meilleur parti de ses castings, Happiness Therapy témoignait également de quelques moments de réalisation un peu bancale et surtout d’une scène traitée de manière assez grossière (l’engueulade monstre entre tous les protagonistes dans la maison), qui virait à la pantalonnade. Bonne nouvelle, le réalisateur ici reste sobre, et son film s’avère très bien maîtrisé en terme de réalisation. Soulignons tout d’abord la parfaite restitution de l’ambiance 70’s dans laquelle prend place le récit. Entre tenues immondes, coupes de cheveux improbables, appartement au papier peint vert kaki : tout vous renverra dans cette époque jusque dans les choix des morceaux de BO utilisés, des chansons cultes de l’époque qui viendront également marquer de leur emprunte certaines scènes du film (Live and leeet diiiiiiiiie) !
[quote_left]on aurait pu craindre une surabondance de rebondissements qui rendraient l’histoire assez confuse. Rien de cela ici[/quote_left]Y compris dans les différentes nuances de son récit, le réalisateur apporte un dosage équilibré, où la comédie saura vous faire sourire (le fil rouge de la pêche) sans jamais l’emporter au détriment du fil conducteur de l’histoire. Ici, Russel reste donc concentré sur son sujet, son histoire. Sobriété également dans le traitement de son enquête. Relevant forcément d’une part de film à twist, on aurait pu craindre une surabondance de rebondissements qui rendraient l’histoire assez confuse. Rien de cela ici, hormis le strict nécessaire. L’intrigue et ses nœuds sont facilement compréhensibles et les divers retournement restent crédibles dans leur contexte pour livrer au final une variation d’une fable de La Fontaine (si ! si !) : la Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf.
[quote_right]l’impression, en dépit d’une réalisation impeccable, et d’un casting excellent, d’être à bord d’un train au parcours un peu trop tranquille.[/quote_right]Bon film, American Bluff n’est peut être pas pour autant la claque annoncée ici et là : en dépit de ses nombreuses qualités, on ne peut s’empêcher de ressentir devant le film un léger sentiment de creux, comme si en privilégiant les personnages au cœur de cette arnaque, le réalisateur en oubliait de traiter réellement certains enjeux. Un certain manque d’épaisseur global de l’intrigue, qui enlève un réel effet de surprise au film : on ressort satisfait de sa vision d’American Bluff, mais pas pour autant marqué au fer rouge. American Bluff n’est pas sans souffrir d’un mal qui marquait déjà le Argo triomphant des oscars 2013 : tout bien conçu qu’il soit, difficile de voir dans le film un réel suspense ou une réelle intensité, rares sont les moments où on sent réellement les héros en danger : en usant, par exemple, du flashback pour relater un fait ou l’un des personnages s’est retrouvé proche de la mort, on sait d’ores et déjà qu’il s’en est sorti, annihilant tout effet de surprise. De même, sans anticiper les rebondissements de l’histoire elle-même, difficile non plus de ne pas s’attendre à l’orientation du twist final venant renverser une dernière fois la vapeur et redonner l’avantage à ceux que l’on pensait soumis depuis le début. On a donc l’impression, en dépit d’une réalisation impeccable, et d’un casting excellent, d’être à bord d’un train au parcours un peu trop tranquille.
Un rythme assez paisible qui sera pourtant mis à mal à l’occasion de plusieurs fulgurances, notamment quand l’irruption de la mafia – avec un Robert de Niro étrangement absent au générique – dans l’affaire vient donner une tonalité beaucoup plus grave et menaçante au film. Quelques scènes donc qui viennent parfois mettre à mal la routine du film pour son propre bien, dont certaines ponctuées par un face à face entre Jennifer Lawrence/Amy Adams puis un face à face Lawrence/Bale remarquables, et faisant basculer les personnages vers un tournant de l’affaire. Quelques scènes qui montrent encore que même si peu de réalisateurs parviennent comme lui à livrer des films aussi sincères où comédie et drame se mélangent harmonieusement, c’est dans ses parties dramatiques que Russell excelle le plus.
[styled_box title= »En conclusion » class= »sb_orange »]Bon film, extrêmement plaisant à suivre, il manque pourtant un petit quelque chose, un petit supplément d’âme au film, quelques enjeux mieux travaillés et approfondis pour vraiment marquer le coup. David O. Russell livre ici un nouveau film dans la droite lignée de ses précédents donc : pas exempt de défauts, mais réussis et intéressant à suivre, portés par des interprète dont il tire le meilleur. Dommage cependant qu’un final conventionnel et attendu et des enjeux pas assez creusés fassent perdre tout effet de surprise ou d’implication dans le film. Un film qui roule un peu trop bien, donc, mais qu’on vous conseille malgré tout pour des motifs capillaires indispensables. Et puis voir Bradley Cooper danser le disco, ça n’a pas de prix ![/styled_box]
American Bluff, de David O. Russell, avec Christian Bale, Amy Adams, Bradley Cooper, Jennifer Lawrence, Jeremy Renner, Louis CK et Robert de Niro. Sortie en salle le 5 février 2014.