Teasé depuis moult temps, Civilization : Beyond Earth a fait saliver dans les chaumières : conquérir des planètes ? Explorer l’espace ? Olalalala !
Après un Civilization V en demie-teinte, sauvé surtout par ses deux extensions (notamment Brave New World), Firaxis et 2K sont-ils parvenus à séduire les joueurs avant même les addons qui ne manqueront pas de voir le jour ?
La poignante cinématique de début (qui a certainement englouti l’intégralité du budget « art et décoration ») donne le la : les humains ont foiré et sont obligés de lancer des fusées dans l’espace avec la dernière énergie, dans l’espoir que ces colons du troisième millénaire trouveront un endroit accueillant pour sauver l’humanité, la Terre étant devenue inhospitalière.
Une fois le contexte posé, le joueur peut commencer sa mission.
Il devra tout d’abord choisir sa « civilisation » parmi les huit sponsors disponibles. Oui, oui, il n’y en a que huit : il semblerait que l’humanité ait réussi à détruire la planète tout en parvenant quand même à se réunir en vastes Etats.
Chaque sponsor a bien entendu ses particularités : l’Union Africaine ajoute un bonus en production de nourriture, la Fédération Slave voit la durée de vie de ses satellites augmentée de 20%, l’union Franco-Ibérique gagne une technologie au bout d’un certain nombre de points de culture engrangés, etc.
Une fois le sponsor choisi, vous devez évidemment décider quel genre de colons vous allez embarquer parmi cinq possibilités : des scientifiques (+2 en science dans chaque ville) ? Des artistes (+2 en culture et +1 en santé dans chaque ville) ? Des refugiés (+2 en nourriture) ?
Il faudra ensuite se demander dans quel type de vaisseau propulser tout ce beau monde, avec, à nouveau, différents bonus à la clé. A vous de voir si vous souhaitez révéler les côtes sur la carte, ou certaines ressources, ou les nids d’extra-terrestres…
Enfin, avant le décollage, vous pourrez choisir parmi cinq types de cargos : un ouvrier, un soldat, une clinique, une technologie ou un citoyen.
Ensuite, en fusée Simone : vous vous retrouvez sur une planète sauvage, et l’avenir de l’humanité dépend de vous. No pressure.
[quote_left]Les aliens compliquent un peu les choses au départ[/quote_left]
Ça commence bien sûr comme dans tous les Civilization : vous fondez votre capitale au milieu du brouillard de guerre, vous lancez des explorateurs histoire de voir un peu à quoi ça ressemble à côté, vous créez un colon, puis deux, et ainsi de suite, jusqu’à bâtir une mégalopole et remporter la victoire.
Dans Beyond Earth, la première partie du jeu est rendue un peu compliquée par la présence de vie alien déjà sur place : des vers géants, des insectes géants, des krakens… Bien plus puissants que les unités militaires disponibles pendant de nombreux tours. Il faudra donc les esquiver, ou dépenser un grand nombre de ressources pour les éliminer.
Quoi qu’il en soit, ils freinent nettement l’expansion de votre empire, bien plus que les barbares des jeux précédents, qui étaient moins nombreux, moins puissants, et surtout, qui avaient clairement moins tendance à repop façon surprise de Noël. Car les aliens ont des nids, voyez-vous. Donc tant que le nid n’est pas éliminé, ils reviennent. Et même une fois le nid éliminé, si vous ne nettoyez pas les miasmes, sorte de brouillard toxique présent sur certaines cases, les nids reviennent aussi.
L’expansion d’une colonie se base sur plusieurs valeurs : la culture (qui permet ensuite de développer des valeurs, mais qui aide également à l’élargissement des limites d’une ville), l’énergie (équivalent de l’or des jeux précédents), la science (pour découvrir des technologies), la nourriture, la production et la santé.
A vous de gérer vos terres, vos bâtiments et vos routes de commerce (oui, il y a des routes de commerce \o/) pour trouver le savant équilibre qui vous permet d’avancer et de croître.
Evidemment, votre colonie ne se base pas uniquement sur des ressources, mais aussi sur des idées et des technologies. Si la religion disparaît, l’idéologie et les doctrines sociales sont toujours de la partie, mais sous d’autres noms.
Les doctrines sociales trouvent leur équivalent dans les valeurs. Ces dernières sont au nombre de quatre : puissance, prospérité, savoir, industrie. Leurs noms indiquent clairement sur quoi porteront les bonus, et chaque fois que vous aurez activé un certain nombre de cases dans les arbres, vous débloquez un bonus de Tier.
Les Affinités quant à elles sont une sorte de mélange entre les religions et les idéologies. Le jeu en compte trois :
– L’Harmonie : les colons qui suivent l’Harmonie sont un peu les hippies feng-shui de l’espace, dont le but est de ne faire qu’un avec leur nouvelle planète.
– La Suprématie : cette doctrine est un peu moins fan du patchouli, et place tous ses espoirs dans la science pour survivre. Les colons auront donc plutôt tendance à se tourner vers la cybernétique et l’intelligence artificielle par exemple, et tenteront par tous les moyens d’imposer cette idée jusque sur la Terre.
– La Pureté : les « Purs » rejettent toute idée d’hybridation avec les populations autochtones ou la technologie, et veulent à tout prix préserver l’humanité telle qu’elle est. Leur but ? Faire venir les humains laissés sur Terre jusqu’à eux.
[quote_right]La toile des technologies permet une progression non linéaire[/quote_right]
Ces Affinités vont aiguiller la progression dans l’arbre des technologies. Car pour la première fois dans Civilization, l’arbre des technologies n’est pas linéaire : vous ne découvrirez certainement pas toutes les technologies disponibles avant de gagner une partie, et vous gagnerez sans doute en ayant débloqué des choses que n’a pas votre voisin, et vice-versa.
Evidemment, les premières technologies, celles qui permettent d’exploiter les ressources de base, seront sans doute recherchées par tous les joueurs d’une map : chimie, biologie, géologie, tous les trucs en -i. Mais après quelques tours, vous êtes totalement libre de votre évolution.
Totalement libre, mais en gardant quand même un œil sur votre Affinité de prédilection : en effet, certaines technologies offrent des points dans l’une ou l’autre des Affinités. Et augmenter votre niveau d’Affinité est nécessaire pour améliorer vos troupes (qui s’améliorent désormais toutes en temps réel : fini les soldats périmés sur la carte \o/), mais également pour atteindre certaines victoires.
Puisqu’on parle des victoires, détaillons-les un peu : il y a cinq façons de remporter une partie. Deux sont accessibles à tout le monde, et trois sont spécifiques aux Affinités :
– La victoire par Domination : comme son nom l’indique, vous devez maîtriser la carte et conquérir les autres colonies, avec vos troupes « une-unité-par-case on s’organise et on se détend ».
– La victoire par Contact : équivalent du programme Apollo, il s’agit de faire tout un tas de trucs permettant de prendre contact avec des extra-terrestres.
– La victoire par Transcendance : réservée à ceux qui suivent l’Harmonie, il faut construire une Fleur Spirituelle (et consommer de la drogue) pour ne faire qu’un avec la planète.
– La victoire par Émancipation : réservée à la Suprématie, vous devrez construire la Porte de l’Émancipation, pour envoyer des troupes sur Terre.
– La victoire par Terre Promise : réservée à la Pureté, vous devez construire la Porte de l’Exode, pour cette fois faire venir des gens de la Terre.
Les espions sont également de la partie pour peu que vous ayez débloqué la bonne technologie : vous en avez trois pour démarrer, et certains bonus de bâtiments, de merveilles, de valeurs, ou encore certaines quêtes, vous permettent d’en recruter d’autres.
Si la fonction de diplomate a été enlevée, ils fonctionnent pour le reste comme dans les jeux précédents : vol de technologies, vol d’énergie, de science, de troupes, ou encore coup d’état (très utile et bien vicieux) sont de la partie. Il est intéressant de noter que les espions sont également influencés par les Affinités : une colonie en Harmonie verra ses espions de haut niveau capables d’envoyer un ver géant attaquer une ville, par exemple, là où les tenants de la Pureté peuvent éliminer d’un coup la moitié de la population.
[quote_left]Les satellites font leur apparition et ajoutent un niveau de stratégie[/quote_left]
Enfin un mot sur les deux vraies nouveautés : les satellites et les quêtes.
Tout au long de votre partie, vous pourrez produire divers satellites, aux diverses fonctions : bonus d’énergie, nettoyage de miasmes, attaques laser… Chaque type couvre un nombre donné de cases, et les zones de couverture de deux satellites ne peuvent se chevaucher, ce qui est bien pratique quand un ennemi veut vous laserifier comme un lâche : vous envoyez n’importe quoi en orbite au dessus de votre ville, et elle est protégée.
Sans apporter un changement bouleversant dans le gameplay, la gestion de la couverture orbitale ajoute cependant à la stratégie globale.
Les quêtes quant à elles ne sont pas à proprement parler nouvelles, mais elles vont un peu plus loin que dans Civilization V, octroyant des bonus permanents intéressants sur le long terme. Certaines sont même nécessaires pour certains types de victoire.
Sur le papier, tout ceci a l’air bien comme il faut : des tas de choses à gérer, à regarder, à réfléchir, un arbre des technologies non linéaire (wooooh), des extra-terrestres (waaaaah), des routes commerciales (wiiiiih), des quêtes ayant du sens et des conséquences qui travaillent l’immersion (wuuuuh)…
Dans les faits, c’est un peu moins glamour, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, Civilization : Beyond Earth ressemble à Civilization V (qui lui-même ressemblait beaucoup à Civilization IV, qui ressemblait au III… Vous avez saisi le concept). Ce n’est pas forcément un problème en soi, mais « Beyond Earth » promettait quelque chose d’autre, ça vendait du rêve cosmique, et au final, on est toujours sur une seule et même planète : pas de gestion d’un système solaire, pas de voyage dans l’espace, mais du Civi classique.
[quote_right]Le jeu n’exploite pas son décor extra-terrestre[/quote_right]Ensuite, puisqu’on en est au « Beyond Earth », c’pas très « beyond » justement : les planètes se ressemblent toutes (hormis la disposition des continents), et ça manque clairement d’exotisme. Sans compter les populations indigènes qui n’apportent pas grand chose : ça corse le début de partie si on adopte une approche agressive, mais vous pouvez passer 450 tours sans interagir avec eux. On ne peut lier aucune relation, aucune approche diplomatique n’est possible, ces extra-terrestres font figure de plantes vertes, que vous ignorez ou que vous étêtez. C’est un peu léger, d’autant que certaines quêtes vous demandent parfois ce que vous voulez faire avec eux : les protéger, les éliminer, les étudier, les adopter… Il est dommage que la logique n’ait pas été poussée jusqu’au bout.
Et puis surtout, il manque des choses. Les mécaniques de gameplay sont efficaces, même si elles demandent un temps d’adaptation, comme cet arbre des technologies tentaculaire, mais… Pourquoi avoir supprimé la victoire diplomatique ? La victoire culturelle ? Certes, les colons que le joueur incarne partent de zéro dans un nouveau monde, mais n’est-ce pas déjà ce que l’on faisait dans les jeux précédents ? On est là pour rebâtir une société, et une société, c’est aussi la culture, les artistes. Or, il est ici impossible de construire un cinéma (à peine une holosalle), un opéra ou tout autre bâtiment culturel. Ou de gagner en se montrant fédérateur.
[quote_left]Le jeu semble tronqué comparé à son prédécesseur[/quote_left]
Exit aussi les personnages illustres et les âges d’or. Alors oui, bien sûr, un chanteur illustre ferait un peu tachouille au milieu des miasmes et des conditions de vie précaires, mais un chef de guerre, un ingénieur ou un scientifique illustres auraient tout à fait leur place.
Et ça continue avec le nombre de civilisations de départ : huit ? Huit, dans un jeu qui s’appelle Civilization ? Ça fait un peu vide. Et puis on commande des gens qui ont accès à des satellites, mais à aucun moment dans le jeu on ne peut en lancer un qui cartographie la surface de la planète trololo ?
On pourrait aussi parler des victoires liées aux Affinités qui sont un peu… Longuettes. Entendons-nous bien : le fait que chaque Affinité ait accès à sa propre victoire, c’est une très bonne idée. Le fait qu’on passe quarante tours à faire du rien pour les valider l’est nettement moins. Enfin, c’est la loi du tout ou rien : selon le contexte politique de la partie contre les IA, vous pouvez passer des millions de tours à faire du quasi-rien pour gagner, et c’est ennuyeux, alors qu’en mode multijoueur, vous passerez des millions de tours à protéger vos Portes et votre Fleur (<_<), et ça deviendra vite un peu pénible.
Et n’oublions pas l’IA et la diplomatie qui sont assez lolesques : vous avez celui qui va vous déclarer la guerre parce que vous ne développez pas votre colonie assez vite à son goût (mais de quoi j’me mêle ?), celle qui a un continent immense et vide à l’ouest pour s’étendre, mais qui va venir faire des villes à l’est, histoire de vous bloquer (et donc vous déclarer la guerre) dès les premiers tours, ceux qui vous déclarent la guerre et ne font RIEN pendant des tours et des tours et des tours, mais qui refusent quand même de négocier la paix, parce que YOLO, les cyclothymiques qui vous ADORENT pendant 150 tours, mais qui vous déclarent la guerre d’un coup d’un seul, les schizophrènes qui sont enthousiastes à votre égard, mais qui font [quote_right]L’IA et la direction artistique sont un peu légères[/quote_right]quand même un coup d’état dans une de vos villes parce que… Parce que YOLO aussi, sans doute. Au final, ça nous fait une belle paire de bras cassés… L’humanité n’a pas le postérieur sorti des ronces !
Puisqu’on en est à l’IA, rappelons que les ouvriers ont toujours du mal à faire des routes, que leur automatisation laisse un peu à désirer, et qu’il est impossible d’automatiser les villes. Du coup, vers la fin du jeu c’est la fête de la notification et c’est un peu pénible, surtout si vous êtes concentré sur la gestion de vos troupes pour un ultime coup de bourre vers la victoire.
Enfin, avant de relever les divers problèmes techniques, un petit mot sur la direction artistique : c’est plat. Après la cinématique de début, qui place le contexte et les enjeux bien comme il faut, le reste est tout à fait quelconque : le design des aliens est complètement banal, les planètes se ressemblent toutes et manquent d’exotisme (en plus elles sont sombres, on dirait un crépuscule perpétuel), les chefs de nations ne sont pas hyper soignés, vos conseillers n’ont même pas d’images pour les illustrer.
Le seul point positif, hormis la musique, qui fait correctement son travail, c’est le design des troupes et des villes, qui est influencé par votre Affinité. Pour le reste, on ne peut pas vraiment dire qu’on se sente transporté hors du système solaire, ce qui est ballot, le jeu s’appelant Beyond Earth.
Côté technique, le jeu semble avoir quelques soucis pour gérer les hautes résolutions sans planter (du moins au moment de l’écriture de ce test). Après, comme il est de rigueur dans les Civilizations, plus on avance dans les tours, plus c’est long, même si ça semble un peu mieux que dans les volets précédents.
En revanche, le jeu bloque parfois quand il y a trop de notifications : il met trois cents ans à vous afficher le bouton « tour suivant » et reste obstinément bloqué sur la notification précédente, « unité en attente d’ordre » notamment.
En mode multijoueur, c’est un peu le drame, avec des temps de chargement de folie assez régulièrement, qui vous affichent carrément un autre écran que la partie en cours. Et bien sûr, quand vous revenez dans le jeu, les textures de la map sont parties faire pipi, et mettent trois plombes à revenir.
Rien que ne puisse se patcher rapidement (hormis la lenteur des tours), ce n’est pas complètement rédhibitoire, mais franchement lourd.
[styled_box title= »En résumé » class= » »]
Civilization Beyond Earth est donc plutôt décevant. Et pas tellement parce qu’il ressemble à son prédécesseur (car tous les Civilizations se ressemblent peu ou prou, tout comme rien ne ressemble plus à un Need For Speed qu’un autre Need For Speed), mais surtout parce qu’il s’annonçait comme quelque chose de différent, et qu’au final, malgré quelques nouveautés plutôt efficaces, il rate le coche.
Parce qu’il manque des fonctionnalités (victoire culturelle, diplomatique, automatisation des villes…), parce que l’esthétique du jeu est bâclée, peu variée, et ne vend pas tellement de rêve, parce que certaines victoires sont pénibles, et parce que ces extra-terrestres avec lesquels on ne peut pas interagir, au final, c’est frustrant, et ça brise totalement l’immersion : pourquoi nous proposer des quêtes et des choix qui ont un réel impact sur la partie, qui permettent de jouer « role play », quand parallèlement on ne fait rien des aliens ?
De la même façon, certaines bonnes idées se mettent mutuellement des bâtons dans les roues. La toile des technologies et les Affinités sont de très bonnes idées, pour briser un peu la linéarité des parties. Sauf qu’en les rendant aussi dépendantes les unes des autres, on arrive à l’inverse de ce qui était souhaité : le seul moyen de gagner des troupes efficaces et certaines victoires, c’est de grimper très vite les niveaux d’Affinité. Du coup, au lieu d’être libre sur votre arbre des technologies non linéaire, et bien vous avez un schéma type pour chaque victoire, que vous vous hâtez d’accomplir, surtout en multijoueur, où vous jouez contre des gens autrement plus doués que l’IA. Et vous vous retrouvez avec une évolution technologique qui ressemble exactement à celle des jeux précédents. Travail intense, résultat nul.
Le syndrome « Encore… Un… Tour » risque clairement de vous épargner dans cet opus, et on se lasse assez vite, surtout si on aime rejouer avec des civilisations différentes : c’est pas avec les trois pelés et deux tondus disponibles que vous allez voir la Vierge en couleurs.
En l’état, Beyond Earth est donc loin d’être convaincant, et apparaît plus comme un brouillon que comme un jeu entier et fini. Nul doute que des extensions viendront remédier aux problèmes (rappelons d’ailleurs que Civilization V n’a atteint son plein potentiel qu’après sa deuxième extension), mais il est dommage de devoir attendre (et payer !) des addons pour profiter pleinement d’un jeu.
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