En tournée promotionnelle pour son film The Voices, la réalisatrice Marjane Satrapi a répondu aux questions des blogueurs à l’occasion d’une table ronde, ainsi qu’à celle du public lors d’une séance de questions-réponses suite à la projection du film. Nous vous en proposons les meilleurs morceaux !
Bonjour Marjane ! Première question, comment êtes-vous arrivée sur ce projet ?
Après Persepolis, on m’a proposé tout un tas de projets… il y a eu différentes vagues. J’ai d’abord été cataloguée spécialiste des enfants, vu que j’avais réalisé un dessin animé, ensuite j’ai été considérée comme une spécialiste du monde musulman, sauf que je suis athée ! Ensuite on m’a proposé des films de femmes… le genre où les femmes n’ont pas de mari, ne travaillent pas mais s’achètent des sacs à 5000 balles, le genre cucul la praline ! On m’a aussi proposé de réaliser Maléfique avec Angelina Jolie… et puis le projet The Voices est arrivé. Je l’ai lu et je me suis demandée ce que c’était.
Je me demande toujours si je serais prête à payer 10 euros pour aller voir le film. The Voices ne me faisait penser à aucun film que j’avais pu voir, et j’avais beaucoup d’empathie pour ce tueur, le chat me faisait trop rire… j’ai eu envie de le réaliser. Je suis donc allée à Los Angeles, j’étais en compétition avec 3 réalisateurs qui avaient déjà travaillé sur des thrillers, et finalement ils m’ont donné le projet. Je n’ai pas demandé pourquoi, ça m’a fait un peu peur !
Concernant le budget du film : comment avez-vous réussi à réaliser The Voices avec seulement 11 millions de dollars (9 millions d’euros) ?
En travaillant beaucoup ! Je n’avais que 33 jours pour tourner et le budget s’est progressivement réduit au fur et à mesure de la préproduction, pour atteindre environ 9 millions d’euros. On a du compenser en rusant. Pour les animaux qui parlent par exemple : dans le film, ils parlent environ 18 minutes. Chaque seconde d’animation coûte une fortune, donc on calcule précisément les moments où on doit les voir parler à l’écran. On les voit parler environ 4 minutes et demi, dans les moments-clés. On a l’impression de tout le temps les voir parler, alors que non… ça a demandé 6 mois de travail.
[quote_left] »L’amour du travail, c’est plus important que le fric »[/quote_left]Je commence toujours à travailler même avant d’avoir signé le contrat, je ne suis pas payée quand je fais ça. L’amour du travail, je trouve ça plus important que le fric. Je dois avoir la satisfaction d’être toujours fière de mon film 10 ans après sa sortie.
Ca influence aussi le budget de la musique. Pour la scène finale, on voulait utiliser une musique et lors de l’achat des droits, on a découvert que c’est la famille Jackson qui en est propriétaire. Elle voulait 1 million de dollars pour céder les droits pour le film. C’est presque un dixième de notre budget ! On a donc changé nos plans avec une chanson qui colle très bien à la fin et qui nous a coûté environ 7000 dollars… mais ça a été un jonglage perpétuel, 9 millions d’euros c’est rien. Quand on sait que Camping 2 a coûté 25 millions d’euros ! Ca doit être les boules de pétanque, je ne vois que ça !
Vous pensez que le film aurait été différent avec plus de budget ?
Ca aurait été plus facile avec 2 ou 3 millions de plus. Il faut savoir que The Voices était sur la blacklist. Pourquoi ? Parce que c’est un super projet, mais que personne ne veut le financer, parce que personne ne sait comment le vendre.
Comment s’est fait le choix des acteurs ?
J’essaie de ne pas penser dès le début à des acteurs ou des actrices. Si vous avez un acteur en tête, vous pensez toujours à lui et si l’acteur vous dit non… on est dans la merde, comme on dit ! Il faut aussi avouer que quand on pense à un serial killer, on ne pense pas immédiatement à Ryan Reynolds. En réalité, Ryan avait eu vent du projet et était très intéressé. Je l’avais vu dans certains de ses films, comme Buried où je l’avais trouvé très bon. Même dans Green Lantern, le film est mauvais mais lui s’en sort bien, c’est un exploit quelque part ! Je l’ai donc rencontré pour voir si on avait la même vision du film, et c’était le cas. Il avait également le physique de l’emploi, capable de passer du sourire juvénile au regard de tueur. Il a également beaucoup improvisé et beaucoup apporté au personnage de Jerry.
[quote_right] »Gemma Arterton, c’est la féminité incarnée »[/quote_right]Concernant les femmes… vous savez, un homme qui tue des femmes, dans le fond, c’est un pervers sexuel : si à un seul moment vous pensez ça dans le film, bye bye l’empathie. Il fallait donc que le côté sexuel vienne des femmes, et non pas de Jerry. Gemma Arterton incarne la féminité totale à la perfection. Anna Kendrick incarne davantage l’américaine type, plus petite et plus discrète. La production ne m’a imposé personne, mais j’ai rencontré plusieurs actrices qui ne correspondaient pas du tout, par contre.
Après je dois dire que les acteurs m’ont à la bonne : j’ai une dream list d’acteurs, et à chaque fois que j’ai proposé à un acteur, il a dit oui. Du coup, je ne vais pas bouder mon plaisir !
Est-ce que vous auriez pu vous-même écrire un tel scénario ?
Honnêtement, non ! C’est pour ça que c’est très bien de travailler avec un scénariste, ça élargit mon monde qui ne se limite finalement qu’à ma propre personne. Je ne serais pas capable d’écrire un tel scénario mais lorsqu’on me l’offre, je le prends, car j’aime le processus qui consiste à traduire la littérature en images.
J’ai donc voulu rencontrer Michael Perry et je me suis dit « Ca doit se voir qu’il est un peu taré ». En réalité, il ressemble à votre prof de maths ! Propre sur lui, très très gentil… il n’a pas la tête de l’emploi !
Dans le film, le monde de Jerry est très coloré, bien mieux que la réalité… pourquoi ce choix ?
Si vous voulez avoir de l’empathie pour le personnage, il faut que vous soyez avec lui lorsqu’il refuse de prendre ses médicaments. Dans sa folie, il a créé un monde très beau, tandis que la réalité est très laide. En tant que spectateur il faut qu’on soit d’accord pour rester dans le monde irréel.
L’esthétique du film est globalement très colorée. Comment avez-vous conçu cet univers ?
J’aime beaucoup les couleurs, notamment le mélange de rose et d’orange, je trouve ça magnifique. J’ai fait une charte de couleurs pour contribuer à l’empathie. Dans un film il y a ce que fait le personnage principal, et tout ce qu’il y a autour, qui fait que vous y croyez ou non.
Pour créer l’appartement de Jerry, j’ai lu un live qui s’appelle L’intérieur du cow boy moderne, parce que je voulais savoir comment sont les appartements des célibataires américains. J’y vois du beige, et puis un truc me choque, quelque chose ne va pas. Et là je constate que dans ces intérieurs, très souvent, les objets sont créés dans le mur, tout est encastré, le lit, le dévidoir à sopalin… et ça correspond au mental de Jerry qui est bloqué dans son propre cerveau. Si vous regardez chez lui, à part le canapé et la table, il ne peut rien déplacer. Il a un lit une place qui est encastré dans le mur, ça souligne que le personnage n’imagine même pas qu’une femme puisse dormir avec lui. C’est un enfant dans sa tête.
Tout ça, quand vous voyez le film, vous ne l’analysez pas, mais vous le voyez quand même et ça vous aide à y croire.
Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi Monsieur Moustache, le chat du film, a l’accent écossais ?
Dans ma tête, le chat avait la voix de Joe Pesci, une petite voix haute perchée, un peu énervée. Les producteurs américains voulaient prendre des acteurs connus pour faire les voix. Et un jour, Ryan Reynolds nous envoie des fichiers sons dans lesquels il faisait la voix du chat et du chien. Excellente idée puisqu’en réalité, ces voix sont dans sa tête, donc c’est logique que ce soit sa voix à lui. Et le chat avait une voix d’Écossais. Ca m’a rappelé des Écossais que je connais, un peu roux… ça nous a tous fait rire, alors on a gardé !
Pour continuer sur le chat… c’est l’être sadique et un peu maléfique du film, à côté du gentil chien. Inverser les rôles n’était pas possible selon vous ?
Les chats de policier n’existent pas, ce sont toujours des chiens, par exemple. Et puis, la race canine n’existe pas, c’est l’homme qui a domestiqué les loups il y a des milliers d’années… c’est pour ça qu’on se retrouve avec des chiens complètement tarés comme les caniches ! Un loup qui se transforme en ça, il y a un problème ! Le chien est l’esclave de l’homme, ce n’est pas le cas du chat. Au mieux, le chat veut bien être votre pote, c’est un animal indépendant. Et le chat à un côté sadique, regardez comment il chasse… c’est comme ça, vous ne pouvez pas inverser les rôles.
Travailler avec des animaux a-t-il été compliqué ?
Au début pour le chien, on voulait un labrador… et puis on a vu le chien du film, avec son regard plein de compassion, on s’est dit génial ! Et on l’a pris. Mais le chien, s’il a un physique imposant, ne dit pas des trucs très intéressants, on dirait un petit mec Républicain… il fallait l’inverse pour le chat. On a trouvé le chat du film, quand il te regarde tu as l’impression qu’il te dit « Va te faire foutre »… j’ai adoré ce chat !
[quote_left] »Le chat comprend ce que vous lui demandez, mais ne le fait jamais »[/quote_left]Pour tourner, c’est encore une autre histoire. Le chien était très obéissant, « assis », « couché », seulement il était aussi très émotif et sentimental : dès que vous le caressiez un peu, il avait une érection de dingue ! Vous voyez la taille du chien, donc c’était énorme. Je disais à tout le monde « ne le caressez pas, il le prend très personnellement ! »
Pour le chat, c’était juste impossible. Vous lui donnez un ordre, il vous regarde, il sait très bien ce que vous lui demandez mais il ne va jamais le faire. Du coup, Stéphane (Roche, le monteur du film) travaillait le montage durant la journée et, le soir, quand le plateau était vide, il tournait juste les plans du chat.
Moi, je voulais droguer le chat, lui filer du Lexomil ! Les Américains me disaient « Non, on ne maltraite pas les animaux ! » Mais moi j’en prends du Lexomil, c’est juste pour me calmer !
Dans le film, Jerry se sent vivant quand il tue. Et vous, qu’est-ce qui vous fait vous sentir vivante ?
La pensée que je vais mourir ! Mon temps est compté et ça me motive. Les 5 minutes que vous avez perdu, c’est 5 minutes de vie en moins. Je ne veux pas gâcher mes journées, je veux toujours faire des choses. C’est aussi pour ça que je m’engueule jamais très longtemps avec les gens. Je me dis toujours « S’il meurt demain, les dernières choses que je lui aurais dites ce sera ça« .
Merci Marjane !