La première Tromadance française a eu lieu le 22 juin dernier à Paris, à l’occasion des mythiques projections Panic! Cinéma. A cette occasion, trois films du studio Troma Entertainment, chantre du cinéma indépendant depuis près de 40 ans, on été projetés. Mais ce n’était pas tout ce que cette Tromadance française avait à offrir aux fans : le clou du spectacle était sans nulle doute la présence du fondateur du studio, Lloyd Kaufman lui-même. Deux heures durant, le créateur de Toxic Avenger et de Tromaville a répondu aux questions des fans, et dévoilé quelques secrets de fabrication des films du studio. Retour sur une masterclass tromatisante !
Fort de 40 ans d’expérience dans l’industrie du cinéma, Lloyd Kaufman, symbole du cinéma underground indépendant – le cinéma « souterrain », comme il le décrit avec son si charmant accent américain – a donné quelques clés de la pérennité de Troma Entertainment à l’occasion d’une masterclass de 2 heures, organisée en marge de la projection de trois films du studio. 2 heures, ce n’est pas bien long pour aborder tous les thèmes chers à Lloyd Kaufman, et répondre par la même occasion aux questions des fans. L’homme est bavard, le public est demandeur : la masterclass s’annonce passionnante.
L’art de la survie
Lorsque Lloyd Kaufman évoque la longue durée de vie de Troma, inauguré en 1974 et toujours indépendant depuis, le créateur de Toxic Avenger ne fait pas de langue de bois : « Pour nous, c’est difficile de survivre à côté de Disney, Gaumont, Paramount… » le fondateur de Troma n’adhère pas aux pratiques des grandes majors, et ne le cache pas. Néanmoins, Troma tient bon. « Nous n’avons pas beaucoup d’argent, nous survivons grâce à Michael Herz, qui arrive à trouver de l’argent par-ci par-là, et grâce à nos fans. »
Trouver des fonds pour survivre est l’un des principaux enjeux de Troma, mais quand il s’agit de produire et de révéler de nouveaux talents du cinéma indépendant dans l’esprit du studio qui a vu naître Tromaville, Kaufman préfère perdre « un peu d’argent » avec une production à son goût, que de laisser passer cette opportunité.
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C’est également dans cet esprit fauché mais créatif que le cinéaste, son équipe et une poignée de fans de Troma ont investi Cannes lors du dernier festival, pour tourner Occupy Cannes, sorte d’écho à All the love you Cannes, tourné en 2002, et dans lequel l’esprit Troma détonne au milieu de l’industrie mainstream du cinéma. « Nous voulions voir si le festival avait changé en 10 ans » explique Kaufman. Réalisé par Charlotte Kaufman, l’une des filles de Lloyd, Occupy Cannes devrait au final montrer un festival sous haute surveillance. « La police de Cannes nous aime bien, mais pas le service de sécurité du festival » ajoute le cinéaste, qui raconte s’être frotté à plusieurs reprises à ce dernier. Refoulé à la projection d’Inside Llewyn Davis des frères Cohen, sous prétexte qu’il portait un smoking bordeau et pas noir, Lloyd Kaufman explique également qu’une mise en scène de mariage homosexuel orchestré en pleine rue par l’équipe de Troma pour promouvoir Return to Nuke’Em High, a été écourtée par la sécurité du festival.
Occupy Cannes, qui devrait être visible en 2014, a bénéficié d’un budget de 50.000 dollars, dont 30.000 ont été récoltés via la plateforme de financement participatif Indiegogo, et 20.000 apportés par deux producteurs. Parmi eux, le Français Nico Praz, qui explique avoir « pratiqué la technique des témoins de Jéhovah », soit être allé frapper à toutes les portes pour accumuler l’argent nécessaire à la réalisation du documentaire.
Troma et Cannes, c’est « je t’aime moi non plus« , mais il en faut vraisemblablement plus pour saper le moral de Lloyd Kaufman, qui regrette néanmoins que le cinéma underground soit mis au rebut par les médias. Un constat qui n’est pas limité à Cannes : les Etats-Unis sont également pointés du doigt. « Chez nous, je crois que c’est un crime d’être indépendant » déplore le cinéaste. « Si Jésus Christ tournait un film américain indépendant, même lui n’aurait aucune chance. » Belle image !
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Reboot et remake
Troma n’a pas résisté à la mode des reboots et autres remakes : c’est d’ailleurs à mi-chemin entre ces deux tendances que Return to Nuke’Em High se place. Cette version réactualisée d’Atomic College est, pour Kaufman, « Un retour au source du film d’origine« . Exit cependant le couple d’ados hétéro : ce sont désormais deux lesbiennes qui se retrouvent au coeur d’une histoire de tacos radioactifs, qui transforment la chorale du lycée en racailles mutantes. Un portrait au vitriol de l’Amérique, sur fond de malbouffe, de pollution et de sexualité. « Les thèmes sont d’actualité » commente le réalisateur, qui a choisi de diviser l’intrigue en deux films, à la façon de Kill Bill. « Quentin Tarantino s’est longtemps inspiré de Troma, et maintenant, c’est Troma qui s’inspire de Tarantino » s’amuse Lloyd Kaufman.
[quote_left] »La plupart des remakes sont dégueulasses »[/quote_left]A côté de ça, le cinéaste a confirmé que les droits de Toxic Avenger avaient bien été cédés en vue d’un remake du premier film. Arnold Schwarzenegger a également été approché. Le budget de cette production s’avère colossal quand on connait les poches trouées de Troma : Kaufman affirme que 100 millions de dollars ont été engagés. « Si ça se fait, Troma va recevoir de l’argent » dit-il, presque en rigolant tant cette perspective semble étonnante. Lloyd Kaufman ajoute qu’il ne fera pas partie de l’équipe de production, mais a de grands espoirs en ce film, même s’il admet que « la plupart des remakes sont dégueulasses. » Le tournage du film devrait débuter en novembre prochain.
A noter que Troma conserve les droits de la franchise Toxic Avenger : le créateur de Toxie explique d’ailleurs avoir repris à zéro le scénario du cinquième volet, qui verra bien le jour, en marge du reboot « grand public ».
Make your own damn movie!
La seconde partie de la masterclass a été consacrée à la manière dont les équipes de Troma travaillent sur les tournages. Car même si le studio est réputé pour ses films fauchés qui sentent bon la série B, le professionnalisme de Lloyd Kaufman et de ses collaborateurs ne laisse rien au hasard, et c’est pour cette raison que Troma parvient à concevoir 1h30 de film de A à Z avec parfois moins de 10.000 dollars.
[quote_right] »La tête écrasée dans Toxic Avenger, pour moi c’est du grand-guignol, mais ça a beaucoup choqué »[/quote_right]Le réalisateur explique prendre énormément de temps pour la phase de pré-production de ses films, entre 2 et 3 mois – à laquelle s’ajoute un mois de tournage en moyenne. Pour Return to Nuke’Em High, les deux actrices principales, Asta Paredes et Catherine Corcoran, sont revenues une douzaine de fois pour des auditions. « Je ne les ai pas beaucoup dirigées durant le tournage, elles ont été très bien, tout s’est fait naturellement » explique Lloyd Kaufman. La phase de casting est certes longue, mais les enjeux sont vitaux : jouer dans une production Troma signifie forcément donner de sa personne, et être dans l’esprit du studio.
Le casting, les effets spéciaux, la préparation d’un tournage à Time Square (avec une autorisation foireuse, un très grand moment) pour Terror Firmer où un monsieur avec un tout petit zizi court tout nu : autant d’aspects de la production que Kaufman a dévoilé en vidéo, agrémentant les featurettes de nombreux commentaires. Planter une carotte dans un oeil (pour de faux) et écraser une tête (pour de faux aussi), c’est simple comme aller au marché… d’ailleurs vous aurez besoin de beaucoup de melons et d’abats d’animaux, car c’est la recette secrète des effets spéciaux Troma, si gore, si beaux, si bons !
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Le condensé d’information sur la « Troma touch » donne envie de se plonger dans les livres et DVD de Kaufman, intitulée Make your own damn movie! A noter également que la chaîne YouTube de Troma propose des centaines de vidéos parmi lesquelles les coulisses de certains tournages, et même des films entiers.
Sans surprise, Lloyd Kaufman est à l’image de Troma Entertainment : délirant et monstrueusement généreux. Après deux heures à l’écouter parler et à visionner des making-of de tournages, on n’a qu’une envie : prendre une caméra et réaliser son propre film ! Si ça ce n’est pas une mission accomplie, je ne sais pas ce que c’est…
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